Estrosi, l’anti-Robin des bois
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Et tout à coup le voilà devenu le Jean Moulin de Provence-Alpes-Côte d’Azur ! Lors de son duel face à Marion Maréchal (Nous voilà) Le Pen au second tour des élections régionales de décembre 2015, Christian Estrosi se découvre une passion soudaine pour la culture, draguant l’électorat de gauche. « C’est vrai qu’on ne le connaissait pas comme ça, ironise Gilles Bouckaert, le directeur du théâtre des Salins, scène nationale à Martigues (13) et délégué régional du syndicat d’employeur des "gros opérateurs" culturels, le Syndeac (1). Cela nous a surpris positivement. » « Motodidacte » a depuis jeté l’éponge pour redevenir maire de Nice mais il reste « président délégué », entre autres, à la culture. En juin 2016 il a lancé une « conférence régionale de la culture » avec un bureau directeur composé de 20 peoples culturels locaux comme Charles Berling, directeur du théâtre Liberté à Toulon, Olivier Py, le directeur du festival d’Avignon, Françoise Nyssen, alors directrice des éditions Actes Sud et désormais ministre de la Culture… Un beau discours et puis plus rien. Estrosi est même président de la commission culture de Régions de France, fédération regroupant 12 collectivités. Quel zèle ! Pas fou, il cherche aussi à soigner sa droite : sa conseillère spéciale à la culture est une ancienne « reine » d’Arles de 25 ans. Mandy Graillon, quand elle ne publie pas sur son compte Facebook une vidéo d’un duo de Johnny et Céline Dion, est plutôt du genre fifre, tradition, patrimoine et galoubet… Fidèle à sa « parole tenue », Estrosi a bel et bien augmenté le budget de la culture du Conseil régional en 2017, de 9 %. Oui, mais pour quoi faire et comment ? Pour résumer : du clinquant, ce qui va rapporter du cash en « retombées économiques ». D’aucuns reprochent d’abord à la Région son manque de transparence. Difficulté d’identifier les bons interlocuteurs dans une administration où les postes tournent beaucoup (pas de chargé de mission pendant un an et demi sur le pôle théâtre, cirque et arts de la rue par exemple). « Aucun échange n’est possible, déplore Yves Fravega, metteur en scène de la compagnie de théâtre L’art de vivre et délégué régional du Synavi (2), le syndicat représentant des structures indépendantes. Pourtant les politiques publiques doivent être justifiées. Comment sont instruits les dossiers, sur quels critères d’évaluation… ? On ne sait pas. » Bel exemple de « communication bienveillante » à la sauce Région : le cas du festival de musique marseillais Africa Fête. Soutenu de longue date, avec une subvention représentant environ 35 % du budget, ses promoteurs n’ont jamais pu obtenir un rendez-vous ou des informations pour l’édition 2017. Les 3 salariés, aujourd’hui « bénévoles », ont appris in fine au lendemain de leur évènement qu’ils seraient largement sous-dotés. « Le principal financeur n’a pas jugé utile de se positionner avant le tenue du festival. Notre édition de 2018, qui devait fêter ses 40 ans, est plus que compromise », commente sobrement Cécile Rata, la directrice. Encore plus fort avec le cas du Centre de ressources (CDR) de Veynes, dans les Hautes-Alpes. Cette association, créée en 1982, mutualise du matériel technique à destination des opérateurs culturels locaux en plus d’une mission de médiation et de formation numérique. En 2012, elle passe une convention avec la Région et La régie, un établissement qui remplit ce rôle de mise à disposition. Las, les cinq salariés de la structure ont appris, fin septembre, par un communiqué que le Conseil régional ne voulait plus « collaborer avec le Centre de ressources ». Mieux, jugeant ses conventions passées avec le CDR comme illégales, la Région va installer sa propre régie à Veynes avec le risque probable « que l’offre ne soit plus du tout adaptée à un territoire que nous connaissons très bien », réagit Charlène Roule-Oberti, la directrice du CDR, voué à disparaître. « La Région veut décider seule et ne veut pas autre chose que le centralisme », déplore Yves Fravega du Synavi. Une vision qui expliquerait la tendance du CR à cajoler les « gros opérateurs », bien implantés et identifiables, comme les festivals d’Avignon, d’Aix-en-Provence ou de Cannes… En clair les gros, les labellisés. Et ce sont donc les petits indépendants qui trinquent. L’appel du 15 mai, signé en mai 2017 par plus d’une centaine de structures et adressé aux collectivités locales, dont la Région, dénonce le sous-financement chronique des indépendants, la coupe brutale des budgets et les conséquences pour l’offre culturelle locale. « Un vrai plan social », regrette Yves Fravega, qui rejoint la logique de regroupement et de mutualisation en cours, avec à la clé des suppressions de postes. Les « gros opérateurs » ont bien signifié leur soutien à ces signataires via différentes lettres, ce que tous apprécient. « Mais paradoxalement, ils cherchent tout de même à préserver leur financement, même si c’est à notre détriment », lâche Fravega. « Il ne faut pas opposer petits et gros, ce serait tomber dans un piège qui consiste à diviser pour mieux régner, estime quant à lui Gilles Bouckaert. Nous faisons tous le même métier et au Syndeac nous défendons tout le monde. » Ce qui n’a pas l’air de convaincre tout le monde. Ndlr : Ni Christian Estrosi ni la Région n’ont souhaité donner suite à nos sollicitations. Clément Chassot 1. Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles 2. Syndicat national des arts vivants Enquête publiée dans le Ravi n°157, daté décembre 2017