Quand j’entends le mot culture…
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De voir la place Beauvau et la rue de Valois collaborer est suffisamment rare pour être signalé. Ce n’est certes pas le Goncourt et malheureusement pas de la science-fiction. C’est un référentiel de plus de 150 pages co-édité en avril dernier par les ministères de l’Intérieur et de la Culture intitulé : « Gérer la sûreté et la sécurité des événements et sites culturels. » Et qui, comme il est indiqué en introduction, n’est pas « un texte normatif » mais un « guide ». De simples recommandations, alors ? Pas sûr. A Marseille, pour sécuriser les Dimanches de la Canebière, la mairie du 1/7 n’a rien trouvé de mieux que d’installer à chaque intersection de l’artère des camions ! Pas forcément le dispositif le plus rassurant après l’attentat de Nice. Or, dernièrement, la « sécurisation » est passée à la vitesse supérieure. En témoignent les mésaventures de l’association marseillaise Fotokino avec sa « Bibliocyclette ». Késako ? « C’est une bibliothèque mobile pour enfants que nous transportons à vélo, explique Line Vienot. Après avoir été expérimentée avec succès à l’Estaque et au Prado, elle est devenue, à Belsunce et à Noailles, un dispositif pérenne, soutenu non seulement par la Drac mais aussi par la préfecture, la politique de la ville… Mais, depuis la rentrée, nous ne pouvons plus intervenir à Noailles. Ce qui est redouté, c’est une attaque à la voiture-bélier, la place où nous intervenions, n’étant, semble-t-il, pas assez sécurisée… » Pas question de trimbaler des plots de béton ni d’installer des camions aux quatre coins de la place. La Bibliocyclette s’est donc installée dans le parc de jeux du cours Julien, un espace entouré de barrières et auquel on ne peut accéder qu’après avoir grimpé quelques marches, donc moins vulnérable à l’intrusion d’un véhicule. Mais, comme le souligne la responsable du dispositif, « le cours Julien, ce n’est pas Noailles. On ne touche pas le même public ni les mêmes enfants… ». Une problématique que ne rencontre pas l’association lorsqu’elle intervient dans le cadre des Dimanches de la Canebière puisque « c’est la mairie du 1/7 qui prend en charge ces questions ». Une situation loin d’être isolée. Ainsi, le festival Sirènes et midi net qui se déroule depuis des années dans le centre-ville de Marseille, sur le parvis de l’Opéra, a dû lui aussi revoir son dispositif de sécurité : des barrières, des vigiles à l’entrée avec détecteurs de métaux et des véhicules pour bloquer les rues adjacentes. Soupir de Pierre Sauvageot, patron de Lieux Publics, l’un des opérateurs « culturels » de MP2018, le prochain « rendez-vous festif et culturel » dans les Bouches-du-Rhône : « C’est une question majeure et qui est tout sauf simple. Il y a un problème réel, qu’on ne peut nier et les réponses ne peuvent être binaires. Heureusement, en face, on a affaire à des interlocuteurs qui ne sont pas bornés. » Pour lui, le questionnement est triple : « Il y a la question de la faisabilité, celle du budget et, bien sûr, celle du sens. Car intervenir dans l’espace public, pour un artiste, ce n’est pas neutre. Pas question de se contenter de "Fan Zones" en se disant qu’il n’y a que quelques lieux sécurisés, comme le Vieux Port par exemple, où l’on peut intervenir. Parce qu’à force de mettre des murs, autant rajouter des portes, des fenêtres, appeler cela un théâtre et jouer à l’intérieur. Face au terrorisme, le risque, c’est justement une dislocation de la société au point qu’on n’arrive plus à se regarder autrement qu’en chiens de faïence, avec méfiance. » Hasard du calendrier : c’est à Marseille que les acteurs réunis au sein de la fédération des arts de la rue se sont retrouvés, à la mi-novembre, pour évoquer, entre autres, ces questions : « On est au cœur de notre activité parce que l’espace public, c’est notre lieu d’expression. Or, depuis des années, on a de plus en plus de difficultés à y travailler. Avec, dernièrement, une accélération », note le représentant en Paca de la fédération, Romaric Matagne. Si le dialogue, au niveau national comme au niveau local, est, nous dit-il, « constant », cela n’est pas sans conséquences : « La préfecture, au-delà de ses préconisations, renvoie la responsabilité aux maires comme aux organisateurs. D’où une certaine frilosité. Et le fait de privilégier quelques gros événements au détriment des petites manifestations qui, elles, contribuent pourtant à irriguer le territoire. Or, aujourd’hui, c’est devenu compliqué d’organiser un carnaval ou même une fête dans un village. Sans parler du fait que les surcoûts liés à ces questions impactent avant tout les structures les plus petites et les plus fragiles. » C’est peu dire que la problématique va être saillante pour MP2018 qui fait la part belle aux événements et autres manifestations dans l’espace public. Or, pour l’heure, avoue-t-on, tout est en chantier. Et Pierre Sauvageot de plaider pour « une licence pour les gens qui travaillent dans l’espace public. Une sorte de pré-autorisation de base parce qu’on a de l’expérience et un certain savoir-faire ». De la science-fiction ? Peut-être. Car, à Marseille, depuis quelque temps, il faut s’acquitter d’une « redevance d’occupation du domaine public » qui, par exemple, pour Fotokino, s’élève à « environ 150 euros. Alors, désormais, on inclut ce coût supplémentaire dans nos demandes de financement. Alors que notre intervention, elle, est gratuite ! ». Une mesure qui, de fait, ne date pas d’hier, puisque, comme le souligne un amateur de culture et d’histoire, « ça remonte à Vichy »… Sébastien Boistel Enquête publiée dans le Ravi n°157, daté décembre 2017