Non mais allô, quoi !
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Si vous avez eu une box ou un smartphone sous le sapin, voilà un joli conte de Noël. Il était une fois… un « ogre », Patrick Drahi, patron d’Altice et propriétaire de Libération, de SFR… En cette fin d’année, pour lui, ce n’est pas la fête. Le cours d’Altice s’est effondré au point qu’il a lui-même presque dû s’excuser et s’expliquer. Notamment face à la perte de 1,5 millions de clients chez SFR : « Il n’y a pas de raison pour expliquer le départ des clients, la seule raison, c’est que nous ne les traitons pas comme il faudrait. » Ils ne doivent pas être les seuls. SFR vient de vivre un plan social massif (5000 suppressions de postes) qui n’a pas épargné le centre d’appel marseillais de l’Estaque : près de la moitié des effectifs ont été supprimés dans le cadre d’un « plan de départ volontaire ». Et ceux qui restent – environ 200 personnes – viennent de basculer chez Intelcia, une société installée des deux côtés de la Méditerranée. Qui, jusque-là, assurait la sous-traitance pour SFR. Et qui, fin 2016, a été rachetée par… Altice ! Passion et pressions Résultat ? « Dans la même entreprise, note le délégué central (CGT) d’Intelcia Stéphane Charakian, on a des salariés qui font le même boulot mais pas avec les mêmes statuts ni les mêmes salaires. Pendant 15 mois, nous, les anciens de SFR, on va garder notre convention collective – celle des télécoms – et des avantages obtenus souvent par la lutte. Nos collègues d’Intelcia n’ont pas cette chance. Pour SFR, ce n’était qu’un prestataire. Avec ce que cela veut dire en termes de résultats, de pression. Notamment pour les salariés. » Sur la toile, les avis sur cette boîte dont le slogan est « votre réussite est notre passion » sont loin d’être élogieux. Ce que confirment syndicalistes et, sous couvert d’anonymat, d’anciens salariés. Ça commençait pourtant plutôt bien : « Je postule le lundi, je suis contacté par Pôle Emploi le mardi, je passe les tests le mercredi. Et, le soir même, j’ai su que je commençais le lendemain, après avoir signé un CDI, se souvient l’un d’eux. Mais j’ai été viré aussi vite que j’ai été embauché. » Dans le cadre de la « période d’essai »… suite à un arrêt maladie d’une journée ! Une mésaventure analogue surviendra à une autre personne. Sans que ce ne soit un licenciement en bonne et due forme puisque, par un simple mail, il sera mis fin à son « stage » car « officiellement, j’étais encore demandeur d’emploi en formation au sein d’Intelcia dans le cadre d’un dispositif qui s’appelle la POEI, la "Préparation opérationnelle à l’emploi individuel". Sauf que la formation, officiellement de 2 mois, n’a pas dépassé 10 jours. Je me suis rapidement retrouvé sur de l’opérationnel à contacter des clients pour leur vendre des abonnements, des téléphones… en étant payé non par Intelcia mais par l’assurance chômage. » Pôle emploi embauché Une pratique qui ne surprend personne à Pôle Emploi. Comme le souligne la CGT : « On voudrait nous faire croire que les fraudeurs ce sont les chômeurs, mais on ferait mieux de regarder du côté des entreprises. Sauf que pour ça, il faudrait des moyens. » Même son de cloche à Solidaires : « Il y a, avec tout dispositif, des effets d’aubaine. Là, c’est un cadeau aux entreprises sur lequel il n’y aurait rien à dire si cela débouchait sur des CDI. Dans l’absolu, on pourrait demander des comptes. Mais uniquement avec l’aval de la hiérarchie. Car on va regarder le poids de la structure dans l’économie locale. Et puis, même si la course aux chiffres s’est un peu calmée, un chômeur en formation, c’est, pour les statistiques, un chômeur en moins. » Pas sûr donc que les choses s’arrangent. D’autant que, cet été, le pdg d’Intelcia, Karim Bernoussi, a annoncé la « fusion-absorption » des antennes rhône-alpines et méditerranéennes de son groupe au sein d’une seule et même entité, The Marketing Group. Sans, a-t-il précisé en novembre, « aucun volet sur d’éventuelles réorganisations ni de quelconques suppressions d’emplois ». Sauf qu’à la faveur de cette « fusion-absorption », effective depuis décembre, l’entreprise, estimant qu’il n’y a plus qu’une seule entité, en a profité pour dénoncer, au sein des antennes en province, « l’ensemble des mandats représentatifs et désignatifs » du personnel. « Cela veut dire qu’il n’y a plus de représentant du personnel sur place, explique Haikel Bertikizi, jusqu’à présent représentant à Marseille de Solidaires à Intelcia. Si un salarié à Marseille a le moindre problème, il faut qu’il contacte les élus du siège social, en région parisienne ! » Une décision que Sud et la CGT ont contestée en « référé » à la veille de Noël et sur laquelle se prononcera fin janvier le TGI de Marseille. C’est vrai que c’est agaçant, un syndicat. En février 2017, le Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHST), organisait une réunion sur les risques de dérives « sectaires » en entreprise. D’ailleurs, la direction (1), pour tenter de virer pour « faute grave » un élu du personnel, a constitué un dossier d’une trentaine de pages ! Et prenez la CGT : le 16 novembre, elle a eu l’outrecuidance de lancer un appel à la grève à Intelcia contre la mise en place d’un logiciel baptisé « CAV » (pour « Centre d’appel virtuel ») qui, non content de permettre le suivi de chacun des faits et gestes des salariés, les oblige à demander l’autorisation de leur « hiérarchie » pour ce qui est pudiquement appelé la « pause physiologique »… Sébastien Boistel 1. La direction du site marseillais n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Enquête publiée dans le Ravi n°158, daté janvier 2018