La Poste veille sur ses profits…
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« On ne fait pas des enfants pour qu’ils s’occupent de nous » martèle une campagne de La Poste pour vendre son dispositif « Veiller sur mes parents ». Lancé en mai dernier, il propose des passages du facteur au domicile de personnes âgées pour un tarif allant, selon la fréquence, de 19,90 à 139,90 € par mois. « Cela permet de vous assurer du bien-être et de la sécurité domestique de vos proches […] et d’éviter ainsi de les orienter trop vite vers une structure spécialisée », affirment encore les communicants de l’entreprise publique. Des grincheux ont eu tôt fait de pointer du doigt le dispositif, dénonçant notamment une « marchandisation du lien social ». La nouvelle offre a pour l’instant du mal à trouver son public : « On compte une soixantaine de souscriptions dans la région », indique Laurent Miralles, un des responsables des relations presse du groupe La Poste en Paca.
Aide à domicile au rabais
De fait, du lien social, c’est à peu près tout ce que le service propose de concret. « Chaque visite dure environ quinze minutes. Le facteur demande si la personne va bien, si elle a besoin de quelque chose. S’ensuit une discussion à bâtons rompus », explique Miralles. Deux questions, quinze minutes de présence au maximum quatre fois par semaine : on est loin, très loin, d’un vrai service d’aide à domicile. Difficile de faire mieux, faute de compétences adéquates. La Poste se targue pourtant de dispenser à ses facteurs une formation élaborée « avec la collaboration de médecins gérontologues » – « un jour en physique, deux jours sur internet », précise Laurent Miralles. L’opération est en réalité plus expéditive : « On suit deux heures de formation sur ordinateur », explique Christine, factrice à Grenoble.
La Poste a fait de cette dimension humaine un axe clé de sa communication. L’entreprise indique que la prestation « vise à éviter l’isolement et contribuer ainsi à la vie sociale des personnes âgées ». « Je passe une fois par semaine chez une vieille dame, elle est très contente du service, nuance Hinda, factrice sur Vénissieux. Elle attend la visite avec impatience, tous les mercredis matin. On s’installe, on boit le café. Cela prend dix ou quinze minutes, voire moins. Sauf quand elle a besoin de parler, là je reste. La première fois, il fallait expliquer comment ça fonctionne, je suis restée plus d’une heure. »
Un service d’intérêt général, donc ? Ce qui est sûr, c’est que la pratique ne date pas d’hier. « On le faisait déjà, et on l’a toujours fait, explique Marie-Anne Weiss, postière à Tarascon et syndicaliste Sud-PTT, à propos des visites au domicile de personnes âgées isolées. Quand je partais en tournée, je prenais vingt minutes sur ma pause pour les passer avec un veuf en fauteuil roulant. Je me serais sentie mal si j’avais dû lui dire qu’il fallait signer un contrat payant. » Désormais, la démarche n’a rien de spontané : « On ne nous demande pas notre avis, explique Hinda. C’est le facteur titulaire de la tournée qui s’en charge. »
Facteurs VRP
« Veiller sur mes parents » est le dernier-né d’une flopée de services qui s’ajoutent à l’activité traditionnelle de distribution. « Savez-vous qui est le mieux placé pour créer du lien avec vos clients et administrés ? Le facteur, évidemment ! C’est l’une des personnalités préférées des Français. Avec ses nouvelles casquettes, [il] a beaucoup à vous apporter », vante ainsi une vidéo visible sur la section du site de La Poste dédiée aux entreprises. Dans le cadre de ces « Nouveaux services de proximité », les facteurs peuvent par exemple être amenés à réciter un « commentaire personnalisé » en livrant un pli édité par une entreprise (un catalogue par exemple), ou encore à collecter des informations sur de futurs clients potentiels à des adresses choisies par le souscripteur.
« Depuis le passage en Société anonyme en 2010, il faut être rentable », explique Fabienne Riera, syndicaliste CGT. Les conséquences les plus visibles de cette stratégie sont la fonte des effectifs (un sixième des postes supprimés en dix ans) et la forte augmentation des tarifs en bureau de poste (+ 45 % pour la lettre prioritaire depuis 2010, notamment). L’effet de cette hausse est encore amplifié par les techniques de vente employées au guichet. « Ce qu’on nous demande, c’est de vendre le produit le plus cher, pointe ainsi Magali Lacroix-Ferrier, guichetière sur Marseille. On doit d’abord s’adapter aux besoins du client, mais aussi remplir des objectifs de chiffre. »
Le service universel postal est sévèrement impacté par cette quête de rentabilité. « Les suppressions d’effectifs vont plus vite que la baisse du trafic », explique Stéphane Murgia, secrétaire départemental de Force Ouvrière dans le « 13 ». Résultat : « Il y a un dépassement permanent des horaires de service, décrit Fabienne Riera. L’état de fatigue des facteurs est tel qu’ils préfèrent souvent ramener du courrier au bureau de poste plutôt que terminer leur tournée. » La pression exercée sur les employés est visible à travers un taux d’absentéisme particulièrement élevé (près de 15 jours par an et par personne sur l’ensemble du groupe). « Il y a de plus en plus de burn-outs et de dépressions, souligne Stéphane Murgia. Les congés-maladie des facteurs sont comblés par des intérimaires et des CDD, ce qui tirent la qualité vers le bas. »
Sébastien Grob
Enquête publiée dans le Ravi n°156, daté novembre 2017