La Castellane n’en finit plus de craquer
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« On s’est laissébalader ! On a cru que c’était de la concertation, mais non… » Nassim Kheladdi ne décolère pas. Le centre social qu’il dirige depuis une quinzaine d’années au cœur de la Castellane, la cité des quartiers nord marseillais, est en sursis. Il aurait dû être détruit en 2016 pour faire peau neuve. Mais ce n’est pas le retard qui pose le plus de problèmes. « On a perdu la propriété de notre centre social !, s’indigne le directeur. C’était pourtant un gage de reconnaissance de notre travail par l’ensemble des institutions ! »
En 2012, la Castellane est intégrée dans le NPRU (Nouveau plan national de rénovation urbaine). Objectif officiel : le « désenclavement » de la cité pour permettre l’insertion sociale et professionnelle de ses habitants. « On nous a demandé d’être très impliqués, de participer à tout un tas d’échanges, poursuit Nassim Kheladdi. En réalité, ils avaient déjà prédéfini leur plan. » Et c’est plutôt le volet « sécuritaire » qui aurait primé dans ce projet. « Il y a une tendance à la sécurité urbaine et non pas à des aménagements au bénéfice des habitants », confirme Thierry Durousseau, architecte et spécialiste de l’histoire des cités.
Rénovation subie
De fait, la Castellane, cité labyrinthique construite dans les années 1970, est excentrée et s’est renfermée sur elle-même. Ce qui ne facilite pas l’accès aux forces de l’ordre ! Le « désenclavement » se traduit par le projet de construction d’un grand axe routier est / ouest coupant la cité en deux. « Il s’agit de permettre une bonne visibilité et un accès plus facile à la police, précise l’architecte. La cité bénéficie d’un bon emplacement commercial, c’est dommage que l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine) n’ait pas, en priorité, tenu compte de ça. »
Observateurs et acteurs de terrain déplorent que les transports, la culture et l’emploi soient passés au second plan. Les 7 200 habitants de la Castellane, soit l’équivalent de la ville de Rousset dans les Bouches-du-Rhône, ont accès à seulement deux bus. Interpellé sur ce sujet en 2016, Jean-Claude Gaudin, président LR de la métropole, a proposé l’augmentation du trafic de l’une des deux lignes. Et Samia Ghali, maire PS de secteur (NDLR : touchée par le cumul des mandats, elle passe le relais), tacle « l’inaction » d’Arlette Fructus, l’adjointe au maire UDI en charge de la rénovation urbaine qui préside MRU (Marseille rénovation urbaine). Et Jean-Claude Gaudin ? « Il fait comme d’habitude, il s’en fout des quartiers ! », cingle la sénatrice Ghali.
La construction du futur axe est / ouest, que seul ceux qui ont une voiture pourront emprunter, soit à peine un habitant sur deux, nécessite la démolition de deux immeubles qui se faisaient face. Le premier, celui où habitait Zidane, la gloire du football français, a été détruit en 2016 avec un an de retard. La démolition du deuxième aurait dû être effective en 2017, or une dizaine de familles y vivent encore dans l’attente d’être relogées.
Selon l’Anru qui finance le NPRU piloté par MRU (vous suivez toujours ?), l’objectif est de « passer de la ville subie à la ville choisie ». Des bureaux d’études tels que InCittà, ont été commandités pour « une plus grande implication des habitants dans la vie de la cité ». L’opérateur indique avoir fait le travail nécessaire en effectuant « des échanges réguliers et fréquents avec les intervenants et habitants du quartier » mais sans jamais donner de chiffres.
Les élues « s’emmêlent »
« Historiquement on ne peut pas dire que MRU et le maire de Marseille aient fait beaucoup de concertations !, regrette Jérôme Mazas, architecte-paysagiste qui travaille sur la place de la Tartane, au cœur de la cité. De notre côté, sans la force populaire locale, on ne peut rien faire. » Lyece Choulak, militant associatif depuis 20 ans et ancien habitant de la Castellane, confirme : « On a l’expérience du Plan d’Aou et de la Busserine ! A chaque fois on nous fait croire que le bureau d’études doit nous concerter, mais rien de ce qu’on dit n’est pris en compte ! »
Il y a plus ! Comme le rappelle Thierry Durousseau « par définition, l’Anru fédère et rassemble toutes les instances. Si ça ne marche pas entre les acteurs, ça enraye forcément tout le système… » Et il est bel et bien paralysé depuis la dernière réunion coorganisée par les représentants de l’Anru, le 24 mars 2016, en présence d’Arlette Fructus et de Samia Ghali. Le ton y était monté très, très haut ! « Ce fut un vrai désastre », désespère Lyece Choulak. « La réussite du programme repose essentiellement sur une démarche partenariale qui se traduit par des projets portés par les élus fortement investis… », notifie pourtant l’Anru.
Samia Ghali est toujours très remontée en ce mois de septembre. « Le préfet de police, Laurent Nunez, Yves Rousset, préfet à l’égalité des chances, et Arlette Fructus n’ont pas respecté le protocole républicain et ne m’ont pas citée ! », nous explique-t-elle. Et la sénatrice de s’emporter à nouveau : « Ces gens sont méprisants ! Lorsqu’il y a eu cette réunion, j’ai pété un câble mais je n’ai aucune leçon à recevoir de leur part ! Quand il y avait Valérie Boyer (LR), je travaillais avec elle. Arlette Fructus, je ne la comprends pas, ça devrait être la première à défendre ce projet, or elle est absente ! » (1) Un règlement de comptes d’un nouveau genre, auquel assistent, médusés, habitants et acteurs sociaux…
Sihem Kazi-Tani
1. Après un mois d’appels, de relances et d’emails, Arlette Fructus est restée injoignable. Et ses collaborateurs à MRU n’ont pas souhaité répondre à nos questions sans son aval.
Enquête publiée en octobre 2017 dans le Ravi n°155