Moi, Michèle Torr, petite française
Cap Bénat, Bormes-les-Mimosas (83), Michèle Torr se prélasse au petit matin dans ses draps aux motifs provençaux avec le sénateur-maire frontiste du 13-14, Stéphane Ravier. La veille au soir, le 8 septembre, l’idole des Yéyés a donné un concert dans les jardins de la mairie marseillaise de secteur du sénateur-maire d’extrême droite, devant une foule endiablée et en déambulateur (1). « On est bien là, Monsieur le maire, on est bien ensemble ! On est bien en famille » (2), une pichenette sur ton nez, une caresse sur ta joue (2) mon Stéphane. Elle se redresse sur le lit, arrange son brushing blond et enfile l’écharpe tricolore de l’édile sur ses seins nus. Je suis « Une petite Française / Née en Provence… » (3). Elle caresse le torse imberbe de son Apollon. Merci de t’être mis à genoux pour m’offrir cet énorme bouquet de fleurs à la fin du spectacle, hier soir (4). Mais je regrette que tu ne sois pas monté sur scène avec moi pour chanter ! Je t’ai entendu interpréter du Johnny lors de tes vœux au Dôme et ça m’a donné des frissons (5) ! Hier soir, j’ai bien vu que tu connaissais les paroles de J’en appelle à la tendresse (6) par cœur, ça m’a émue, car sous la cuirasse il y a en toi un cœur qui bat mon Stéphane ! « Il y a du bon en tout et il faut trouver le bon en tout » (7).
Ce dernier se met debout sur le lit et entonne le premier couplet de la chanson, Michèle à ses pieds : « Devant ces yeux d’enfant / Qui ont froid, qui ont faim / Dites-vous que l’argent vous brûlera les mains / Devant ces présidents / Qui dirigent le monde / Qui jouent au cerf-volant / Avec toutes leurs bombes. / Devant les synagogues / Devant les cathédrales / Il n’y a qu’un bon Dieu / Mais toujours plusieurs diables / Devant ceux qui n’ont rien / Devant ceux qui ont tout / S’il le faut je veux bien / Le chanter à genoux » (6). Il joint le geste à la parole manquant d’éborgner Michèle qui dans la précipitation se retrouve les quatre fers en l’air sur la moquette bleu marine. Le sénateur, presque plus maire (8) poursuit en transe : « J’en appelle à la tendresse / À l’amour s’il nous en reste / J’en appelle à tous les hommes / Que leur volonté soit bonne / J’en appelle à la tendresse… » (6)
Michèle se relève bon gré mal gré, manquant de s’étrangler avec l’écharpe tricolore. C’est rockstar que tu aurais dû faire mon Stéphane ! Je connais ton amour pour AB CD, tu dis ? Ah oui AC DC (9) ! Tu as un beau vibrato, on pourrait faire un joli duo toi et moi. Maintenant que tu laisses la mairie de secteur pour le Sénat, tu vas avoir plus de temps à toi puisque tu n’y vas pratiquement jamais (8). Tu pourrais intégrer la tournée d’Âge tendre et Tête de bois (4). Après Ringo et Sheila, Stone et Charden, Michèle et Stéphane ! J’ai tout un répertoire qui pourrait te plaire et s’accorderait parfaitement avec ta sensibilité politique, comme Une vague bleue (10). On pourrait même reprendre la version allemande d’Une petite française : Die schönsten Blumen blühen auf dem Land (11) !
« Un petit pétard ne fait pas de mal, non ? »
Je te présenterai « Patrick Juvet que j’aime beaucoup et Herbert Léonard que j’adore, on est amis depuis longtemps » (12). Ne fais pas cette tête, contrairement à ce que disait ma grand-mère il n’y a pas « que des putes et des PD dans ce métier » (13) ! Allez viens, y’aura les Forbans aussi, ils assument plus facilement que moi de jouer pour les fachos eux, ils ont fait le congrès du FN en 2012 et la fête du cochon à Hayange cet été ! « Il ne faut diaboliser personne. […] Je pense que l’artiste ne doit pas faire de politique. Tous les artistes qui en font sont des crétins » (14). Voilà ce qu’il dit Bébert des Forbans et il n’a pas tort. Et comment il a mouché Karim Zéribi, ancien député européen EELV et élu d’opposition à la mairie de Marseille, sur le plateau de RMC (15), j’en ris encore ! Bon moi j’ai fait les Polymusicales de Bollène (84) l’année dernière (16) et en 2012 j’ai participé à la fête de l’automne à Courthézon, où j’ai grandi, aux côtés de la députée FN, Marion Maréchal (nous voilà)-Le Pen (17). Aussi, chaque année, Roger Pellenc, maire LR de Pertuis (84), a la gentillesse de mettre à disposition de SEP (Sclérose en plaques) en Pays d’Aix (18), l’association de mon fils atteint de la maladie, une scène pour une soirée spectacle dont les bénéfices sont reversés à la recherche. Un homme charmant qui lors des cantonales de 2015 s’était dit prêt à « soutenir tout candidat de droite qui pourrait faire battre la gauche à la présidence du département, même si ce candidat est Front national » (19). Michèle se prend à rêver. Vivement 2020 que tu sois maire de Marseille (8), mon Stéphane. Tu nous imagines chantant sur le Vieux-Port pour fêter ta victoire ! Je serai ta Brigitte provençale !
Le caniche nain abricot de Michèle saute sur le lit. Stéphane Ravier prend soin de protéger ses attributs. N’aie pas peur il est très gentil, il s’appelle Coca (20), si t’étais venu me voir avant j’aurais pu te présenter mon âne Cannabis, mais bon j’ai dû m’en débarrasser, mes voisins se plaignant de ses braiments intempestifs (21). Quoi ces noms te choquent ? Ça te rappelle les trafics des quartiers Nord. Oh là là, t’es vieille France ! « Un petit pétard ne fait pas de mal, non ? » (13). Michèle repousse les draps et sort du lit. « Bien qu’inattendue, cette parenthèse fut délicieuse, je resterais bien » (7) mais mon fan club, dont Didier Mori, ton adjoint à la santé, à la solidarité et à la politique de la ville est un fidèle adhérent (4), m’attend pour déjeuner. Avant de filer sous la douche, elle jette un coup d’œil au miroir : C’est vrai que Marine et moi avons un air de ressemblance (22). « J’ai toujours des cheveux blonds / Et les yeux bleu horizon » (23). Mais moi « Je m’appelle Michèle / J’ai le cœur en Provence / Où je laisse mes souvenirs » (23). Au fait, tu ne m’emmènerais pas danser ce soir ? Allez ! « Emmène-moi danser ce soir / Flirtons ensemble enlacés dans le noir / Timidement dis-moi Michèle je t’aime » (24).
Portrait satirique publié dans le Ravi n°155, daté octobre 2017