ONET mais pas tant que ça…
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« Nos valeurs : écoute, respect, audace. » De l’audace, ONET, entreprise spécialisée dans le nettoyage industriel dont le siège social est à Marseille, n’en manque effectivement pas. Pour le reste, il faudra repasser… La Holding Reinier, 230ème fortune de France, détient majoritairement le groupe. Une entreprise familiale qui gère 65 000 salariés et plus de 70 filiales. Elle est leader des agences de propreté avec 1,7 milliard de chiffre d’affaires en 2016. Depuis 2013, un ancien de Veolia, Denis Gasquet, est devenu PDG du groupe. Si ONET diversifie de plus en plus son offre de services (sécurité, nucléaire…), les agents de nettoyage font 90 % du chiffre d’affaires : des hommes et surtout des femmes qui n’ont bien souvent ni la reconnaissance du client, ni celle de leur propre patron (1).
Compétitif avant tout
Si ONET est leader sur le marché c’est qu’il est compétitif. Et pour ce faire, il faut casser les prix quitte à ce que l’agent de nettoyage se casse le dos ! « 600 m2 à l’heure, c’est ce que vend ONET à ses clients, explique Pierre-Jean Serrières, délégué national CGT d’ONET propreté-multiservices. On est obligé de travailler à une cadence infernale. Il y a de plus en plus de maladies professionnelles et à 50 ans les employés sont foutus ! » Il regrette surtout que l’État soit complice : « Dans leurs appels d’offres, les organismes d’État choisissent eux aussi le moins disant. »
Malika (2) a 55 ans dont 18 ans « d’ONET ». Elle commence à cinq heures trente le matin et court d’un chantier à l’autre en traversant Marseille du nord au sud. Bien sûr, le temps passé dans les transports n’est pas comptabilisé ni payé. Malika demande un temps plein depuis des années, sans succès. « Chez ONET on n’est pas entendu. Je gagne 395 euros par mois. Une seule fois je leur ai demandé une avance, ils ont refusé. » Comme beaucoup de ses collègues, elle multiplie les employeurs pour pouvoir vivre, mais la précarité reste la norme.
La revendication principale chez ONET c’est le 13ème mois. « La problématique dans le nettoyage c’est que tous les "sédentaires" – c’est à dire les cadres, les administratifs et les agents de maîtrise – touchent un treizième mois, alors que les ouvriers, eux, n’ont droit à rien », déplore Pierre-Jean Serrières. Une véritable discrimination. À Marseille, Maître Roger Vignaud travaille avec la CGT et plaide depuis dix ans la cause de ces « invisibles » comme on les appelle. « Les agences de nettoyage exploitent leur situation de précarité. Estimant qu’ils représentent la "petite population", d’origine africaine ou maghrébine pour 98 % d’entre eux », explique l’avocat.
Roger Vignaud a instruit 500 dossiers ONET aux prud’hommes, et gagne à chaque fois. Il s’agit aussi de réclamer les indemnités de panier, de trajet, ou encore les primes de vacances que certains ne touchent pas. « En fonction de l’endroit où travaille le salarié et du poids que peut représenter le syndicat sur un site, pour la paix sociale, on va accepter de donner à un tel et pas à un autre. Considérant que les salariés ne communiquent pas entre eux, poursuit l’avocat. Par exemple à Cadarache, si les cent personnes qui travaillent sur le site décident de se mettre en grève, ça fait désordre pour le commissariat à l’énergie atomique ! »
Humain après tout
ONET, qui se targue de « la culture profondément humaine de [son] entreprise », pourrait régulariser la situation mais préfère attendre que les salariés attaquent aux prud’hommes. « Leur position c’est "si on la donne à tout le monde on ne sera plus concurrentiel" », note le syndicaliste. Malika n’ira pas en justice : « J’ai peur de perdre mon poste. J’ai vu comment étaient traités ceux qui avaient attaqué, on leur donne les plus mauvais chantiers. Ce n’est pas juste de devoir réclamer. Beaucoup d’employés ne savent ni lire, ni écrire. Qu’est-ce que vous voulez qu’ils aillent remplir des dossiers ! » Alors que des procès sont en cours, Maître Vignaud constate que la Fédération des entreprises de propreté (FEP), dont le président n’est autre que l’ancien PDG d’ONET, Max Massa, a fait un véritable lobbying auprès des politiques.
Il ne se passe pas une semaine sans que la presse ne parle d’ONET, rarement en bien. Cet été c’est l’histoire de Yannick, laveur de vitres dans un hôtel de Cogolin (83), licencié pour avoir mangé un bout de fromage, qui a ému. « Il était candidat aux élections du délégué du personnel, on a voulu l’intimider », note Monique Négrel, de l’union locale CGT de La Garde (83). Le syndicat a aussi soutenu une employée toulonnaise qui avait dû signer la baisse de son temps de travail sous la contrainte de trois cadres. « Le siège laisse trop de pouvoir aux chefs d’agence. Il se passe tout et n’importe quoi », regrette Pierre-Jean Serrières. Preuve s’il en faut : en septembre, en Charente-Maritime, un agent d’entretien d’ONET a tenté de s’immoler face à son supérieur hiérarchique. 51 ans, père de deux enfants, ses proches affirment dans la Charente Libre que ce salarié était « harcelé moralement et psychologiquement » et « poussé à la démission »… après 23 ans d’ancienneté.
Samantha Rouchard
1. Malgré nos relances, ONET n’a pas répondu à nos demandes d’entretien.
2. Le prénom a été changé.
3. L’auteure de cette enquête a travaillé pour ONET, comme agent de nettoyage, il y a une vingtaine d’années sur Bordeaux.
Enquête publiée dans le Ravi n°157, daté octobre 2017