AMU : La précarité en chantier
Putain, quinze ans ! Alors que la France découvre les contrats de chantier du BTP à l’occasion de la réforme du code du travail, Aix-Marseille Université (AMU) en use et abuse depuis 2002 et la création par son actuel président, Yvon Berland, de Protisvalor, sa filiale injustement méconnue de valorisation de la recherche. Aujourd’hui, sur un effectif de 217 personnes, 70 salariés de cette société de droit privé sont en CDI de mission, un employé sur trois, qui s’arrêtent automatiquement en même temps qu’un projet.
Un exploit, au vu des contraintes de dérogation actuelles. « Ça arrive dans l’informatique, mais c’est compliqué, explique Nathalie Campagnolo, avocate spécialisée dans le droit du travail. Il faut qu’il y ait dans l’activité du secteur un usage d’embauche pour des missions spécifiques. » « C’est un élément essentiel de notre métier, assure Michel Mancis, le directeur administratif et financier de Protisvalor. Nous fonctionnons sur des projets avec des financements européens, publics et privés d’une durée précise, trois ans par exemple. L’avantage pour nous, c’est de mettre fin contractuellement au contrat. »
Licenciements facilités
Selon le « DAF », le contrat est même gagnant-gagnant : « Ça évite les licenciements abusifs. Comme dans toute rupture, il y a un préavis, des indemnités et les salariés touchent les Assedic (sic). » Et Michel Mancis de préciser : « Si les salariés sont repris, l’ancienneté est préservée et les rémunérations sont au moins équivalentes à celles de enseignants-chercheurs. » Un tableau un peu trop idyllique selon certains salariés de Protisvalor. « C’est un piège, dénonce l’un d’eux sous couvert d’anonymat. La prime de licenciement est modique par rapport à un licenciement économique ou à la prime de précarité d’un CDD, et on n’a pas droit au plan de sécurisation professionnelle de Pôle emploi en fin de projet. »
Ce serait même la double peine pour les salariés de la filiale d’Aix-Marseille Université. Souvent des post-doctorants, selon Michel Mancis, mais aussi des enseignants-chercheurs non titularisés. Les « Protisvalor », comme ils s’appellent, perdent tous les avantages de l’établissement public sans bénéficier des avantages du privé. « Si on a gagné des tickets restos et une mutuelle, on n’est pas sur les rémunérations du privé car il n’y a ni grille salariale, ni convention collective et même pas de fiches de poste », poursuit notre chercheur, désormais chargé de projet. « De 49 jours de congés payés et RTT lorsque j’étais en CDD dans mon labo, je suis revenue aux cinq semaines de congés payés et aux récups. Je n’ai plus droit qu’à trois jours enfant malade au lieu de six, il n’y a pas encore de comité d’entreprise et lorsque j’ai voulu renégocier mon salaire, mon directeur me l’a refusé », explique une salariée « Prostivalor » en CDI. Et de résumer : « On a la paie du public et des droits en moins ! »
Pressions hiérarchiques
Plus pernicieux : les contrats de mission, ou non, étant rattachés à des labos de recherche de l’AMU, les salariés sont éclatés. Ce qui empêche tout collectif et accroît la dépendance aux directeurs des labos, qui ont le statut très envié de titulaires. « On dépend d’eux pour les salaires et les horaires. Ils nous imposent aussi parfois des missions sortant du projet initial. Il y a une pression qui s’ajoute à notre précarité alors que nous n’avons juridiquement aucun lien hiérarchique », accuse encore notre chargé de projet. Un point sur lequel Michel Mancis se veut rassurant : « Il n’y a pas de tension puisque le président de Protisvalor est Yvon Berland, le président d’AMU. » A moins que le médecin à double casquette ne trouve un avantage à la situation.
« Si on n’est pas une Ferrari, il y a en effet un gros risque qu’on n’ait pas de nouveau contrat, estime encore le cabinet Campagnolo. La généralisation des contrats de chantier est un moyen de transformer le CDI français dont on ne veut plus. Les promesses de formation adaptée ou de durée minimale du contrat ne sont pas prévues dans la loi ! On glisse vers plus de flexibilité pour tous sans droits supplémentaires pour la compenser, ce qui était jusqu’ici la règle. » Et de détailler : « Les licenciements seront inattaquables parce que la fin d’un chantier est un motif légal de licenciement, les œuvres sociales, la participation, etc, ces droits liés à l’ancienneté ne seront plus garantis. C’est vraiment une grosse révolution. » Voire une véritable contre-révolution de l’ancien monde…
Jean-François Poupelin
Cette enquête a été publiée dans le Ravi n°155, daté octobre 2017.
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