Moi, Loana, la Bimbo triste
Dans la salle de bain de Loana, à Vence (1), commune des Alpes-maritimes. « Lofteur Up and down / Lofteur move around / Ho, ho, ho, lofteur number one » (2) J’aime bien faire des vocalises sous la douche. Ce soir en plus, avec mon ex, Eryl Prayer, sosie officiel d’Elvis Presley, on présente notre nouveau tube au Cirque Pinder, Love me tender (3). L’ex-gagnante de Loft Story (4), première émission de téléréalité française diffusée en 2001 sur M6, cannoise d’origine (5), n’a rien perdu de son accent du sud. Dans son peignoir rose, elle empoigne son fer à friser et entonne : « Loveu mi tander, loveu mi trou. » Une larme perle sur son visage. Vous savez, sous mon décolleté plongeant il y a un cœur. C’est lui qui a ému les téléspectateurs à l’époque : un beau cadeau empoisonné tiens !
« On vivait dans un 15 mètres carrés avec ma mère et on bouffait des pâtes, j’étais obligée de travailler en boîte de nuit en string et en soutien-gorge, ce n’était franchement pas l’avenir dont je rêvais quand j’étais petite » (6). Je sors du loft et on m’offre une maison, de l’argent, et sans jauger de mes talents artistiques on me promet la gloire et les paillettes. Comment ne pas y croire ? Mais j’ai fait de mauvaises rencontres : « Je suis tombée amoureuse d’un homme […] qui m’a escroquée financièrement, et sentimentalement. Il se prétendait agent immobilier. En réalité, c’était un des plus gros dealers de cocaïne de Paris […] Il m’a dit que si je l’aimais vraiment, je devais prendre de la coke avec lui. » (7)
Et du coup, c’est plutôt dans mon nez qu’elles ont fini les paillettes. Mes tentatives de suicide, mes arrêts cardiaques, mon coma, mes passages à l’hôpital psychiatrique, la drogue, les anti-dépresseurs, ma prise de poids… « J’ai bu un litre de whisky par jour » (1), tout ça a fait la Une de la presse people pendant 16 ans. Je sais que ce n’est pas ma petite personne qui les intéresse, mais plutôt le papier que peut faire vendre la déchéance d’une star de la télé-poubelle. « Vaut mieux être célèbre que de pas savoir quoi manger le lendemain. S’il faut en passer par le fait que quand on va à l’hôpital […] ça passe dans les journaux, j’ai pris l’habitude. » (6)
En 2010, lorsque Pascale Clark m’a invitée à France Inter(6), je me suis dit que je pouvais toucher un autre public, les intellos quoi. Je ne sais plus ce que j’avais pris, ou peut-être était-ce juste ce stress qui envahit les grands timides ! Mais lorsque Pascale Clark m’a présentée comme « le visage le plus scruté de la décennie », j’ai répondu : « C’est pas le visage à mon avis ! » et j’ai montré mes seins. J’ai confondu « viscéral » avec « vénale » et lorsqu’elle m’a parlé de Bourdieu je n’ai rien compris. J’ai été celle que l’on attendait : la cagole de service pas très fute-fute. « Oui je suis sur France Inter, je vous assure », a lancé l’animatrice aux auditeurs qui devaient halluciner d’entendre mon nom sur leur antenne.
« Je veux pas être caissière à Monoprix pour retomber dans l’anonymat. »
L’animateur de radio grande gueule des années 90, Maurice, a pris ma défense sur son antenne et ça m’a fait du bien : « Je me suis demandé si on ne pouvait pas créer le « délit de moquerie en réunion » ou d’ »abus de position dominante à la radio ». Loana n’a jamais essayé de nous faire croire qu’elle sortait de la Sorbonne. Alors que certains qui travaillent sur la radio d’État essaient de nous le faire croire. Ce que nous dit la dictature du bien pilotée ce matin-là par Pascale Clark c’est que Loana serait une conne et bien entendu que, elle, Pascale serait une fille intelligente… » (8)
Loana enfile un jean et un long t-shirt noir qui avec les années est venu remplacer les dos-nus. « Rien de doux, de soyeux, de chaud, ni même de vraiment troublant. Mais une marchandise de survie » (9), a dit un journaliste en parlant de mes seins. C’est vrai… mais j’ai fait avec mes armes… Depuis, mon corps n’est plus le même et mes atouts non plus. Malgré tout, j’ai participé à d’autres émissions de téléréalité (5)… Oui je sais… Et depuis peu, je réalise des interviews d’autres participants de ces mêmes téléréalités… Oui je sais aussi. Mais que voulez-vous que je fasse d’autre ? Hein ? « Je veux pas être caissière à Monoprix pour retomber dans l’anonymat. » (6) De toute façon, dès que j’essaie de faire quelque chose d’original on me tombe dessus !
Un exemple : la dernière pub Gifi pour le jacuzzi gonflable [clin d’œil aux ébats amoureux de Loana dans la piscine du Loft. Ndlr] que j’ai tournée avec Benjamin Castaldi [ancien présentateur de Loft Story. Ndlr] (11). Mais si ! Celle où lorsque je mets le pied dans le jacuzzi je me transforme en blonde svelte et sexy, et lorsque je l’enlève c’est la Loana de maintenant avec ses kilos en trop… Gifi n’a pas que des idées de génie mais de là à parler de « pub sexiste et grossophobe » (11)… « Je ne porte en rien atteinte […] aux personnes rondes. Juste un peu d’humour et d’autodérision ME concernant… » (11).
Loana chausse ses mules compensées. Je suis désormais Loana Petrucciani (5), peu de chances que l’on me confonde avec Michel, je ne sais pas jouer de piano ! [rires]. Je vais avoir 40 ans « et cette date-là va me permettre de tourner la page » (10). Parfois j’ai bien conscience qu’on ne comprend pas vraiment pourquoi je m’accroche si désespérément à la lumière. Mais peut-être qu’un jour vous saurez car « je garde secrets certains moments de ma vie. […] Je n’ai pas envie que tout m’explose à la figure » (10). Face au miroir, Loana jette un dernier regard à ce corps, qui avec les années, est venu camoufler celui de sex-symbol trop lourd à porter.
« Je revois ma mère m’appelant pour la rejoindre… Miette, Miette. Un jour, elle m’expliqua : « Tu vois, ma miette, notre famille est comme le pain. La croûte, dure mais protectrice, c’est ton père. La mie, douce et tendre comme l’amour que je te porte, c’est ta mère. Les deux réunis ont donné une miette, à la fois douce et dure. C’est toi. » » (12). Mais une miette, ça se jette… Une dernière larme vient se perdre dans un sourire feint. Puis la tornade blonde décolorée saisit sa veste en cuir, claque la porte et court rejoindre son Elvis. On l’entend alors chantonner au loin : « Love me tender / Love me long / Take me to your heart / For it’s there that I belong… » (13)
Portrait publié dans le Ravi n°154, daté septembre 2017. Pas de presse pas pareille sans votre soutien, abonnez-vous !