Municipales : le RN rêve d'une revanche dans le 13-14
Est-ce la faute au Covid, à la disette ou à la défaite aux municipales ? Mais, cette année, pour l’ex- « dictateur nord-phocéen », le frontiste Stéphane Ravier, pas de vœux au Dôme, ni d’agenda sur papier glacé. Celui qui n’est plus « que » sénateur n’en a pas moins inauguré une petite permanence et sorti un modeste journal. Qui s’ouvre – à croire que Ravier a été durablement marqué par son voyage aux États-Unis où il est allé soutenir Trump – par une citation… d’Abraham Lincoln ! Si elle comporte moins de photos de l’édile, la publication de quatre pages n’en revient pas moins sur son « exploit » aux sénatoriales mais surtout prévient : « Élections municipales, préparez-vous à revoter ! »
Et de mettre en avant le recours qu’il a déposé début juillet, citant des « sources judiciaires bien informées » qui le considéreraient comme « solide et sérieux ». Ce document, que le Ravi a pu consulter, fait presque une centaine de pages. Et feu de tout bois. Pointant notamment la « faiblesse de la participation » (26%, essentiellement pour cause de Covid) ou listant « meetings » et « apéritifs » qui n’auraient pas été pris en considération dans les « comptes de campagne » de la liste LR, le RN table surtout sur le peu de voix qui ont permis au général David Galtier, tête de liste de Martine Vassal dans le secteur, de s’imposer : 387 !
Café offert
Huissier à l’appui, le RN commence par les questions de « propagande » : « affiches de Martine Vassal » apposées à proximité des bureaux de vote, « individus » qui « scandent des mots d’ordre de soutien » en faveur de cette dernière ou affiches dégradées, notamment avec des bandeaux « Front national dehors ! » Mais ce qui a particulièrement occupé les petites mains du parti d’extrême droite, ce sont les « différences de signatures » sur les listes d’émargement entre le premier et le deuxième tour, le RN en comptant « 443 » qui seraient problématiques. Autre morceau ? Les irrégularités relevées, bureau de vote par bureau de vote, dans les procès-verbaux : problème de signatures donc mais aussi nombre d’enveloppes insuffisant ou bulletins de vote du premier tour pour le second, le RN soulignant le poids des bulletins blancs ou nuls. Ou la problématique, comme dans les 11 et 12ème arrondissements, des procurations.
Ce n’est que six mois plus tard que le héraut de Martine Vassal dans les quartiers nord a apporté sa réponse. Et, dans son « mémoire en défense » que le Ravi a pu également parcourir, pour un général, David Galtier ne manque pas d’humour. Tandis que la commission nationale a validé pour l’essentiel ses « comptes de campagne », il concède qu’à l’« apéro/barbecue » de la « Boule des Lilas », la future maire de secteur Marion Bareille « s’est fait offrir un café dont il a été refusé qu’elle le règle et dont le coût n’a pas été intégré dans le compte de campagne ». Un coût estimé, selon le « prix moyen d’un café machine » à « 0,50 centimes » (sic)…
Côté « propagande », Galtier tacle l’huissier du RN qui n’a relevé que « 5 affiches » Ravier « dégradées » et seulement « 5 affiches » Vassal « en dehors des emplacements réservées ». Quant aux 18 du RN avec un bandeau « Front national dehors », LR ironise : non seulement, ces derniers n’ont pas été collés « par les élus » de la liste Galtier « ni pour son compte » et, surtout, « depuis le 1er juin 2018 », on ne dit plus « Front national » mais « Rassemblement national » !
La règle à trou
Au chapitre « signatures », le général n’en compte que « 83 » problématiques. Et s’il y a eu des différences, c’est la faute au « dispositif sanitaire » ! En effet, peut-on lire, « les électeurs devant amener leur stylo, il s’est trouvé à d’innombrables reprises que le stylo soit ne fonctionnait pas, ou mal, soit n’était pas adapté ». Quant à la « règle à trou pour faire signer les électeurs », elle « pousse le signataire à avoir une signature hâtive et non appliquée ». Sans oublier la problématique de la « main suspendue », les électeurs ayant signé, par crainte du Covid, « sans prendre appui sur la table ou le cahier d’émargement »…
Quant aux irrégularités relevées dans les « procès-verbaux », le général les balaye l’une après l’autre, estimant que les « anomalies » ont été « prises en compte » et « régularisées », allant jusqu’à trouver la jurisprudence ad hoc pour justifier qu’un électeur ait pu voter « alors qu’il n’avait pas de CNI » et un autre « pas sa carte électorale ». Pas de souci non plus face aux difficultés d’un bureau de vote où « la clé » pour l’ouvrir était « non conforme » et où l’urne « sans cadenas a dû être changée ».
Le « mémoire en réponse » écarte rapidement la question des « procurations », rappelant que sur leur régularité, la jurisprudence « n’est pas excessivement formaliste ». Enfin, pour le candidat de Martine Vassal, le taux de participation dans le 7ème secteur est « conforme au taux de participation relevé sur la Ville », estimant que s’il y avait eu une telle baisse entre le premier et le deuxième tour, c’est parce qu’avec le retrait des listes de gauche, « plus de 33 % du corps électoral ne s’est pas senti représenté ». Et de rappeler, si besoin est, qu’ « il n’appartient pas au juge de l’élection de sanctionner toute irrégularité mais seulement d’apprécier si [elle] a été de nature à affecter la sincérité du scrutin ».
Du côté du RN, on s’étrangle : « C’est vraiment de la mauvaise foi. Certes, sur les procurations, on l’a relevé mais, vu les délais pour déposer le recours, on n’a pas eu le temps de l’étayer et, visiblement, cela n’a pas été aussi massif que dans d’autres secteurs. Mais, pour ce qui relève de la propagande, notre huissier n’a pas pu suivre tous les bureaux. Et ce qu’il a pu voir sur quelques-uns donne une idée de ce qu’il s’est passé. Quant aux signatures, les attestations produites posent vraiment question puisque, parfois, ce qui a été produit, ce sont des cartes vitales, des permis de conduire, bref, des documents où ne figure aucune signature ! » Et ce proche de Stéphane Ravier de pointer des bureaux de vote « où l’on compte des dizaines de bulletins nuls ! » Ou le fait que le mémoire du candidat LR « ne dit rien sur l’utilisation de moyens municipaux – notamment des locaux – pour la campagne. Et quand un politique ne répond pas à une question, c’est qu’il y a souci. » Vient d’être rendu un « mémoire en réplique » – la réponse à la réponse en quelque sorte – qui fait, pour ce que le Ravi a pu en voir, la part belle encore à la question des signatures…
Le risque « FN »
Contacté, David Galtier ne souhaite d’ailleurs « pas évoquer une affaire en cours. C’est désormais à la justice de se prononcer. Je n’ai pas envie d’alimenter la polémique ». Ni, semble-t-il, refaire campagne : « C’est la maire [Marion Bareille, NDLR] qui se prépare. Enfin, ce qui l’occupe surtout, c’est l’action au quotidien que peut assurer une mairie de secteur. Moi, je suis certes élu dans le 13/14 et je l’aide autant que je peux mais, vice-président à la métropole, je ne suis pas en première ligne. »
Sur le terrain, si ce n’est le défilé de politiques il y a quelques jours dans un centre social, c’est loin d’être l’effervescence. Ce que nous confirme Mohamed Bensaada qui a mené la liste Unir (avec le soutien d’EELV) : « Mais si le recours aboutit et qu’il faut à nouveau voter, on prendra nos responsabilités. » Le secteur est encore marqué par le retrait du candidat du Printemps marseillais, le communiste Jérémy Bacchi, devenu depuis sénateur. Et un cadre du Printemps marseillais d’expliquer, en substance, que si la majorité municipale regarde avec attention ce qu’il se passera dans ce secteur, elle s’attend plus à ce que cela bouge dans le 11-12 que dans le 13-14.
Commentaire de l’Insoumis Samy Johsua, également candidat sur la liste Unir en mars dernier : « J’ai été surpris de voir Ravier surgir avec du matériel de campagne. Après, il ne faut pas oublier qu’il y a les départementales et les régionales. Je ne sais si son recours a des chances de passer. Quand il pointe les bulletins nuls et blancs, la réponse est évidente : c’est le face-à-face LR / RN qui explique pourquoi il y en a tant. S’il faut retourner aux urnes, j’espère que l’on sera uni. Mais j’espère que ce qui sera confirmé, c’est la défaite de Ravier. Que l’on passe à autre chose ! Car, malheureusement, dans les quartiers nord, le risque FN existe encore. »
Conseillère Modem à la Région qui, dans le 13/14, roulait pour le macroniste Yvon Berland, Marie-Florence Bulteau-Rambaud n’a pas de nouvelle du recours qu’elle avait elle-même déposé et ne s’est pas encore mis en ordre de marche pour faire campagne : « C’est notre tête de liste au niveau de la ville qui décidera quoi faire si le tribunal décide d’annuler les élections sur un ou plusieurs secteurs. On a été en capacité de se mobiliser pour mener campagne sur un temps court, on peut le refaire. Mais, très honnêtement, vu le contexte sanitaire, je ne vois personnellement pas comment les élections régionales et départementales vont pouvoir se tenir en juin ! »
De fait, la crise sanitaire est venue retarder le calendrier du contentieux électoral, avec une validation tardive des comptes de campagne. Et avec une centaine de recours, le tribunal administratif du Marseille a du pain sur la planche, devant se prononcer, au plus tard, à la mi-mars. Toutefois, pour le 11-12, autre secteur litigieux, le tribunal administratif a fixé la clôture de l’instruction au 8 janvier. Et, nous dit un vieux routier de la politique marseillaise, « dans l’entourage de Vassal comme à la mairie de secteur, on redoute que l’élection soit invalidée. Le problème, c’est que, dans le contexte actuel, il est impossible de faire campagne. Et les gens ont tout sauf les élections en tête. S’il faut revoter, pas sûr que les électeurs se bousculent… »