« Ça se regarde après minuit ? »
17h15
La foule se presse au pied de l’escalier qui mène à la salle du conseil municipal. Moyenne d’âge 70 ans. « Même les adjoints font la queue ! », s’étonne un proche du cabinet du maire avant de rajouter au concerné en riant : « Oui mais toi au moins t’es sûr de retrouver ta place ! » Il fait référence à Guillaume Decart, adjoint à la culture et Françoise Dumont adjointe au tourisme et au commerce, auxquels le maire LR, Georges Ginesta, a récemment enlevé leurs délégations. « Et la semaine prochaine, ce sera le jeu des chaises musicales. Avec comme nouveau chien de garde, un teckel au lieu d’un bulldog ! », poursuit l’homme à haute voix. En effet, non cumul des mandats oblige, Ginesta devenant sénateur, il laissera la mairie à son premier adjoint Frédéric Masquelier, jusque là plutôt discret.
17h20
Le Ravi ne peut pas prendre place à la table de presse, cette dernière étant « réservée à la presse locale », ce que nous pensions être pourtant… On nous installe une chaise pliante dans le public.
17h24
Guillaume Decard, conseiller départemental et feu adjoint à la culture, fait son entrée. Costume taillé sur mesure et brushing impeccable, on le croirait échappé d’un épisode des Feux de l’amour. C’est sûrement ce qui fait son succès auprès des seniors qui l’apostrophent par son prénom. Le neveu d’Alex Barbero, patron du BTP varois – pointé férocement du doigt par le rapport de la Chambre régionale des comptes pour ses liens avec St Raphaël et la Communauté d’agglo (Cavem) présidée par Ginesta – n’est plus en odeur de sainteté auprès de l’édile. Officiellement à cause de son échec aux législatives. « Une tête de gondole pour les vernissages », c’est en ces termes que Ginesta parle désormais de son ancien protégé dans Var-matin. Decard n’a pas dit son dernier mot et se prépare pour les municipales de 2020.
17h30
La conseillère départementale Françoise Dumont, carré blond et veste sur les épaules, de même que son « binôme artificiel » (Decard) – comme les surnomme Ginesta – prend place sur le banc de l’opposition. L’édile lui aurait supprimé ses délégations à cause de son « manque de travail ». C’est la dégringolade pour cette ancienne première adjointe, protégée de Ginesta, qui se voyait déjà en première magistrate.
17h32
C’est le dernier conseil municipal de Ginesta et il a décidé de ne pas perdre de temps. Il enchaîne les délibérations, chacune ponctuée par un monocorde : « Tout le monde est d’accord ? ».
17h35
Pendant qu’un adjoint propose la mise à disposition de moniteurs en maniement des armes à la police municipale, le maire échange des regards langoureux avec Aurore Laroche. L’élue, physique de Betty Boop aux cheveux blond platine finit par battre des cils. Puis reprenant le fil : « Bon, espérons qu’ils vont tirer droit quand même ! Tout le monde est d’accord pour qu’on leur donne un coup de main ? »
17h40
Betty Boop présente une convention de partenariat avec l’association Dandy Riders, qu’elle prononce à l’américaine ce qui fait sourire Ginesta. En 2016, ces hipsters à moto avaient récolté 6000 euros « en faveur de la lutte contre le cancer de la prostate », note-t-elle avant d’éclater de rire. Pas sûr que le public apprécie.
17h44
Look de chasseur et air bonhomme, Roland Germain, adjoint aux travaux et à la qualité de vie, expédie la fiscalité de l’eau en une minute trente : « L’agence de l’eau a produit sa note d’information, elle est assez courte, elle est facile à lire. Donc je vous conseille de la voir, c’est intéressant. »
17h46
Préservation de zones écologiques et de construction de logements sociaux. Roland Bertora, fayot de la majorité, tient à souligner les dizaines de milliers d’euros que fait économiser ce montage. Ginesta saute sur l’occasion et tacle ses détracteurs : « Ce qui montre l’excellente gestion qui est faite de la commune ! »
17h50
Subvention au club de bridge par la seule élue dont le patronyme prend la forme d’un mot-valise transgenre : Françoise Burnichon. Suivie – hasard de l’ordre du jour (?) – d’une intervention de Pierre Boule pour une subvention aux Amis de la Basilique Notre Dame de la Victoire.
17h53
Le 1er adjoint et futur maire, toujours aussi discret, demande une subvention exceptionnelle pour le comité de jumelage avec Sankt Georgen en Allemagne : « 45 ans de vie commune, ça fait quand même ses preuves… Des preuves heureuses en ce qui concerne les villes ! », lance Ginesta. Il ajoute sourire aux lèvres et regard en direction de l’ancienne tête de liste FN, Nicolas Melnikowicz : « L’amitié franco-allemande ! ».
17h56
Renégociation de trois emprunts. Josiane Chiodi, adjointe aux finances, hurle dans son micro. « Ça va, tout le monde l’entend bien ? », ironise le maire. Nicolas Melnikowicz : « Je ne vais pas m’étendre sur le sujet des emprunts toxiques. » « Emprunts structurés ! », corrige Ginesta. « J’imagine que s’ils sont renégociés c’est qu’ils étaient dangereux ! », insiste l’élu d’opposition. « Non, c’est que les conditions de marché sont excellentes », conclut le maire. Cinq abstentions dans l’opposition. Le socialo-macroniste Jean-Pierre Meynet vote pour. « Mais sans applaudir », précise-t-il.
18h05
Ginesta regarde sa montre : « C’est au tour de monsieur Iseppi, mais il est absent. » « Non, non, je suis là ! », précise le concerné. « Vous êtes trop discret, monsieur Iseppi ! », souligne le maire. Iseppi, ancien président de l’association des commerçants, a récupéré les délégations de Françoise Dumont. Dans Var-matin (24/06/17), sans le citer nommément, elle l’accuse d’être à l’origine d’une lettre de délation la discréditant.
18h08
Fin de séance. « Ben écoutez, ça ne pouvait pas aller plus vite ! C’est Midnight Express, mais pas avec le même thème ! » « Heureusement ! », note un conseiller. L’élue d’opposition DVD Sandrine Hacquard prend la parole : « J’avais un petit cadeau d’adieu. » « D’adieu, pas totalement ! », interrompt Ginesta. « Vous avez mené une campagne qui s’appelait "Gardons le cap", et puis deux ans et demi après, vous changez de cap… », poursuit-elle avant de se lever pour lui offrir son présent. « Y a pas de risque à ouvrir ? Je redoute le pire… C’est pas quelque chose d’intime ? Ça se regarde après minuit ? », plaisante l’édile en ouvrant le paquet. Il s’agit d’un livre sur la navigation. « Merci en tout cas pour votre dédicace. » Il fait mine de lire : « Mon cher Georges, c’est avec beaucoup de satisfaction que j’ai été à vos côtés toutes ces années… Je suis prête à m’investir de nouveau à vos côtés de façon plus intime… » Rires dans la salle. Puis il s’adresse aux élus : « J’ai été très heureux de travailler avec vous. Ça s’est toujours passé de façon courtoise. Bien évidemment, il y a eu des débats politiques. Mais vous avez compris les uns et les autres la part de théâtre qui nous incombait… et chacun a joué son rôle ! »
Epilogue : Sans surprise le 29 septembre, Frédéric Masquelier a été élu maire avec 31 voix (et 8 votes blancs). Il compte « Garder le cap » ! C’est Roland Bertora qui a été élu à la présidence de la Cavem par 31 voix contre 21 pour Françoise Dumont.
Samantha Rouchard
Article publié dans le Ravi n°155, daté septembre 2017