La prison leur est tombée sur la tête
« Qui voudrait d’une prison dans son village ?? », s’étrangle une jeune femme qui vend des bricoles pour arrondir ses fins de mois au marché d’Entraigues-sur-la-Sorgue (84). Mais faute de postulants, c’est cette commune de 8 000 habitants située à quelques kilomètres d’Avignon qui a été désignée par la préfecture de Vaucluse, en février dernier, afin d’accueillir une maison d’arrêt de 400 places d’ici 10 ans.
En octobre 2016, l’ancien Premier ministre Manuel Valls annonçait un nouveau plan prison avec la construction de 33 nouveaux établissements pour environ 16 000 places supplémentaires. En Paca, sont concernées entre autres Nice, Marseille et Arles. Avec un objectif annoncé d’encellulement personnel face à la surpopulation carcérale. « Il ne faut pas s’y attendre. Plus de places ne jouent pas sur le taux d’incarcération », tranche Olivier Milhaud, maître de conférences en géographie à Paris Sorbonne et spécialiste de la question carcérale. En 1990, il existait 33 000 places pour 45 000 détenus. Aujourd’hui ce sont 70 000 prisonniers qui s’en partagent 60 000… (1)
Plus loin, un autre marchand, Raphaël Franchequin, n’est pas non plus enchanté. « Je ne saute pas de joie mais il faut bien l’accueillir quelque part, philosophe-t-il. Si plus de places permettent de faire baisser le taux de récidive… » Plus loin, une habitante d’Entraigues, Nathalie Settineri, râle et craint que sa petite ville ne change trop. Pourtant, elle n’est pas contre dans le fond, comme d’autres riverains interrogés : « La justice n’est pas assez ferme. C’est malheureux mais avec ce qu’il se passe de nos jours, il en faudra toujours plus. » Oui mais pas chez moi… Un sentiment résumé en anglais par l’expression « not in my backyard », pas dans mon jardin. Et, ce dans une commune aux très hauts scores Front national.
D’autres s’inquiètent des proches qui viendront rendre visite aux détenus, à une montée de l’insécurité… La prison fait peur. « C’est sûr qu’il peut y avoir un déficit d’image pour la commune mais plutôt pendant la phase de préparation, de construction. Après tout cela s’évapore rapidement. Les prix de l’immobilier par exemple ne chutent pas », éclaire l’enseignant-chercheur. Pour lui l’impact le plus important réside dans l’urbanisme, le paysager. Ce qui peut être un moyen de négociation entre le maire et les autorités pour se faire financer des travaux de voirie, de réseaux ou encore se faire renvoyer l’ascenseur question aménagement local (santé etc.).
Question emploi, même si un tel établissement embaucherait environ 150 personnes, « le recrutement se fait par concours au niveau national et n’est donc pas local. Et cela bénéficie plus à l’agglomération qu’à la commune qui reçoit… », continue Olivier Milhaud. Sauf pour le buraliste du coin, qui peut se frotter les mains : les prisons sont obligées de se fournir en tabac localement et la clope est légion entre quatre murs…
Le maire communiste d’Entraigues-sur-la-Sorgue, Guy Moureau, fait lui, part de son impuissance : « Nous sommes mis devant le fait accompli, on compte pour du beurre. Le ministère décide et la préfecture exécute. […] On prend les coups et on doit fermer sa gueule ! », s’énerve l’édile, qui ne sait pas s’il aura droit à des compensations de quelque nature que ce soit. Il s’étonne aussi de voir pousser une prison à seulement sept kilomètres de celle du Pontet. Mais entre deux tribunaux de grande instance, Carpentras et Avignon, près de l’autoroute et de deux établissements en surpopulation carcérale, ce n’est pas si surprenant (2).
Ce qui l’inquiète le plus, c’est l’emplacement prévu de cette maison d’arrêt : sur une zone d’activité. « Elle boucherait le reste de la zone et cela paraît incompatible avec son développement, insiste-t-il. Et une prison, c’est 15 ou 20 hectares, soit 20 à 30 entreprises ! Bien sûr que cette prison aura un impact sur la ville, et pas le même que sur une ville comme Arles qui compte 30 000 habitants. Il y a un vrai sentiment d’abandon chez les maires, nous sommes très peu accompagnés et la préfecture, elle, fait ce qu’elle peut. » Ne reste plus à l’élu qu’à faire monter un peu la pression pour tirer les quelques marrons du feu qui ne seront pas encore cramés.
1. Chiffres de l’Observatoire international des prisons et du ministère de la Justice.
2. La maison d’arrêt de Nîmes est surpeuplée à 205 % et celle du Pontet à 157 %. Chiffres juillet 2016.