Ils explosent dans les urnes
À quelques jours du premier tour des législatives, Michel Castellani, candidat nationaliste de la 1ère circonscription de Haute-Corse, donne de la voix au boulodrome couvert du Lupino à Bastia, quartier historique et « populaire » de la ville. Etiqueté Pè a Corsica (Pour la Corse), il harangue environ 300 personnes en français et en corse. Gilles Simeoni, élu maire de Bastia en 2014 et président du conseil exécutif de Corse depuis décembre 2015, à la suite de la victoire du camp nationaliste aux élections de l’Assemblée de Corse, est venu le soutenir. « Le nationalisme, c’est le sens de l’Histoire, clame Paul, militant actif de 35 ans. À la fin, ce sera l’indépendance. »
Aujourd’hui, deux lignes distinctes composent le mouvement : les indépendantistes, emmenés par Guy Talamoni, le président de l’Assemblée de Corse, et les autonomistes par Gilles Simeoni. En aparté et après un discours applaudi, le charismatique avocat de 50 ans, fils du pionnier du nationalisme Edmond Simeoni et accessoirement conseil d’Yvan Colonna, admet que « l’indépendance ne se décrète pas ». Il se veut pragmatique, parle d’urgence « sociale, culturelle et sociétale ». Juste auparavant, il alertait le gouvernement dans son discours en lançant un énigmatique « si dans quelques mois, la situation n’avance pas… » Mais de nous expliquer : « Ce n’est pas une menace ni un chantage. Nous avons fait un choix clair et irréversible, respecter un processus démocratique. Le reste, ce n’est pas bon pour la Corse. Mais si on ne répond pas à une question de fond, on laisse de l’espace pour la violence. » Une façon de négocier…
Au soir du second tour des législatives, trois nationalistes (1) détrônent les caciques LR. Du jamais vu ! Comme sur le continent mais à sa manière, La Corse a aussi opté pour le dégagisme. « La vague Macron s’est échouée sur les rives de la Corse », reconnaît Maria Guidicelli (2) la candidate malheureuse d’En Marche, la seule à avoir permis, la victoire d’un LR, Jean-Jacques Ferrara, dans la 1ère circo de Corse du Sud.
Si le nationalisme à l’ancienne semble révolu (violence encagoulée), c’est désormais dans les urnes qu’il se dessine : Après l’Assemblée de Corse en 2015, les législatives en 2017. « Le vote nationaliste n’est pas hégémonique ! », tient à nuancer Andria Fazi au regard de l’abstention (50,1 % au second tour des législatives). « Le facteur décisif chez les nationalistes c’est le réseau militant, poursuit le politologue. En Corse, plus qu’ailleurs, une élection se joue beaucoup sur les liens personnels. Et là où les moyens traditionnels de convaincre l’électeur sont en déficit d’efficacité, dans un contexte de pénurie des pouvoirs publics, avec un clientélisme qui atteint ses limites, ce changement favorise la poussée nationaliste. »
Si à la présidentielle, Marine Le Pen est arrivée en tête sur l’île au premier tour (27,88 %) et a enregistré un score supérieur (48,52 %) à son score national (47,72 %), au second tour, aux législatives, le FN a fait chou blanc : 11,5 %, plus haut score enregistré (1ère circo de Corse du Sud) pour Francis Nadizi, secrétaire frontiste local. « Si les gens votent FN, c’est parce que l’indépendance de la Corse leur fait peur et que les nationalistes ne sont pas tous clairs là-dessus, explique-t-il. La vérité c’est qu’il n’y a aucun projet économique viable derrière cette indépendance. »
Localement, l’extrême droite est divisée entre les marinistes et un confidentiel front national corse, Avenne Corsu, plus proche des identitaires. « Clairement, c’est le sentiment de crainte vis-à-vis des Arabes qui est encore aujourd’hui le moteur du vote FN », note Andria Fazi. Il précise que les nationalistes, suite notamment aux évènements des Jardins de l’empereur (lire ci-contre), ont été obligés de préciser leur position afin de se démarquer du FN. Pourtant pour Jean-Pierre Battestini, secrétaire départemental CGT Haute-Corse, la frontière est mince entre FN et nationalisme : « Ils ne sont pas clairs sur l’immigration, il y a une porosité de slogan, quand les responsables disent "on n’est plus chez nous" ou parlent "d’invasion", cela rappelle quelque chose… »
« Nous sommes aux antipodes du FN », s’insurge Simeoni. Entre les deux tours de la présidentielle, le meeting ajaccien de Marine Le Pen avait été perturbé par les étudiants du syndicat Ghjuventù Independentista (jeunesse indépendantiste) à coups de boules puantes et d’affrontements. « Nous combattons les idées nauséabondes du FN, nous ne voulons pas laisser se distiller ce fascisme à la française, explique Paul Salort, 19 ans président du syndicat. Les gens qui votent pour eux sont des désœuvrés. Il ne faut pas oublier que 66 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté en Corse. »
Et Andria Fazi de conclure : « Le nationalisme attire un électorat très composite, des gens de droite comme de gauche, comme des anti-arabes très fermes. Initialement le père et l’oncle (Max Simeoni, ex-député européen) de Gilles Simeoni utilisaient le terme d’ "apolitique", l’enjeu premier étant le régionalisme puis l’autonomie. Et depuis 15 ans le débat semble tourner autour de leurs thèmes. » Et en décembre, les Corses repassent dans l’isoloir pour les territoriales…
Samantha Rouchard et Clément Chassot
1. La Corse compte 2 circos en Corse du Sud et 2 circos en Haute-Corse.
2. En Corse LREM a recyclé d’anciens socialistes proches de Paul Giacobi, ex-député condamné pour détournement de fonds publics. Il a fait appel mais vient d’être mis en examen dans une affaire d’emplois fictifs.
Enquête publiée dans le Ravi n°153, daté juillet-août 2017. Pas de presse pas pareille sans votre soutien, abonnez-vous !