Dans les cités marseillaises, l’ordonnance est salée
C’est une fracture qui va être longue à ressouder. Comme dans de nombreux domaines à Marseille (écoles, transports, équipements sportifs et culturels, etc.), la santé est elle aussi victime d’une fracture entre le nord et le sud de la ville. C’est la très officielle Agence régionale de la santé (ARS) qui le dit. « Les difficultés et le poids des problématiques ne sont pas les mêmes. Dans les quartiers est, on a des cités disséminées qui connaissent aussi des problèmes, mais moins lourds », résume Nathalie Molas Gali, responsable du service prévention et promotion de la santé à la délégation départementale des Bouches-du-Rhône de l’ARS.
Accès aux soins, y compris en transport, à des spécialistes, même les pédiatres, prévalence de maladies respiratoires liées au mal-logement ou à la pollution, nuisible (blattes, rats, punaises de lit), problèmes dentaires plus fréquents, surpoids, diabète précoce, etc. La liste des problématiques est longue et démontre un état de santé moins bon des habitants les plus défavorisés de ces territoires, comme le montre le dernier diagnostic, qui date de 2013 (1). « Sur le diabète, le surpoids, l’obésité, certains quartiers du 15e arrondissement on a des prévalences sept fois plus importantes que des secteurs du 7e arrondissement », explique une technicienne de la métropole sous couvert d’anonymat, qui a participé au dernier diagnostic territorial santé des quartiers nord de Marseille. Elle donne un autre exemple : « Ce sont des territoires avec une grande souffrance psychosociale. Quand on voit l’impact du trafic sur la vie des gens… »
Fracture territoriale
En poste à l’hôpital psychiatrique Edouard Toulouse, dont le secteur rassemble les quartiers les plus pauvres de Marseille (2), Kader Benayed, secrétaire de Sud Santé des hôpitaux de Marseille, note également des « problématiques psychiatriques des quartiers populaires, liées à la misère sociale » : « des pathologies dues aux consommations toxiques, notamment le cannabis, et les addictions multiples. Et une grande violence ». Pour lui, la fracture territoriale se voit également dans les moyens alloués aux structures de santé. « L’état du bâti, les moyens, les effectifs de l’hôpital Nord et d’Edouard Toulouse, ce n’est pas digne, dénonce le syndicaliste. Dans les quartiers prioritaires, la police, l’éducation ont des moyens supplémentaires, la santé non. » Ce serait même l’inverse : par le jeu des spécialités, les deux établissements sont moins dotés.
En réponse, les institutions multiplient les interventions. Depuis 2012, et le plan Ayrault, les centres de santé ont été développés dans les quartiers populaires. En novembre 2019, la ville, l’ARS, le département des Bouches-du-Rhône et la préfecture de région ont signé le troisième contrat local de santé, qui fixe les priorités en matière de santé : habitat indigne, petite enfance, addictions, accès aux droits, etc. Le service prévention et promotion de l’Agence régional de la santé dispose, lui, de 4,8 millions d’euros (3) pour développer ses actions sur Marseille. « Sur la petite enfance, on va par exemple travailler sur les prédéterminants, comme l’environnement de l’enfant, via une action sur le développement des compétences psychosociales. Une action mise en place avec la Protection maternelle et infantile du département qui va se dérouler dans des lieux de proximité, comme les centres sociaux », illustre Geneviève Schikele, animatrice territoriale prévention à l’ARS. Beaucoup jugent cependant que les moyens sont insuffisants (voir ci-dessous).
Des déterminants aggravants
Nouvel acteur sur Marseille, arrivé au moment de la première vague, Aloys Vimard regarde ces interventions dans les quartiers populaires avec circonspection. « On a l’impression d’un manque de coordination entre structures. Beaucoup travaillent sur les mêmes publics et les même problématiques, mais elles ne se parlent pas, note ce chargé de projet pour Médecins sans frontières. On est aussi sur du financement au coup par coup, alors qu’il faudrait débloquer des fonds pour développer de vraies politiques publiques. »
Mais c’est surtout l’absence d’intervention sur les déterminants économiques et sociaux – ressources, emploi, éducation, logement, etc – qui inquiète. En particulier après un quart de siècle d’abandon. Dans les quartiers nord, même faire du sport n’a rien de simple tant les infrastructures manquent. « C’est bien d’avoir des groupes de parole pour parler des trafics, mais quand vous devez montrer patte blanche pour sortir de chez vous ou marcher dans le noir la nuit parce que l’éclairage public est volontairement cassé, le problème va bien au-delà de la question de la santé », se désole notre technicienne de la métropole.
Même chose sur le logement. Retour dans les quartiers sud, à la cité Air Bel dans le 11e arrondissement, un ensemble d’immeubles et de logements qui cumulent les problèmes d’insalubrité. Malgré les alertes des habitants, il a fallu un mort à cause de la légionellose dans les canalisations d’eau pour que les pouvoirs publics bougent. « Aux dernières nouvelles, il y a un an, les bailleurs changeaient les chauffe-eaux. Mais tant qu’il n’y aura pas une réhabilitation, les problèmes d’infection, de nuisibles, d’humidité, d’isolation continueront », rappelle Florent Houdmon, le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre. Et avec, les problèmes de santé des locataires.
1. http://www.polvillemarseille.fr/asvgeneral.htm
2. 1er, 2e, 3e, 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements.
3. Soit 60 % des 8 millions d’euros alloués pour l’ensemble du département.