« Etre une femme est une chance »
Dans La Belle et la meute, Kaouther Ben Hania, immerge les spectateurs, en mode thriller, dans l’enfer d’une nuit vécue par une jeune Tunisienne victime d’un viol. Entretien avec la réalisatrice.
La Belle et la meute est inspiré d’un fait divers, le viol d’une jeune Tunisienne par trois policiers en 2012. Comment avez-vous construit une fiction à partir de ce drame ? J’ai pris beaucoup de libertés par rapport à la vraie histoire. L’intérêt était de me l’approprier et d’en faire un vrai drame avec les outils de la fiction. Je voulais tenter un côté un peu thriller, avec des plans-séquences (plans longs, sans coupe, couvrant l’intégralité d’une scène, Ndlr) qui pourraient transmettre une impression d’oppression et de tension. L’objectif est de plonger le spectateur dans le réel, qu’il puisse être collé à la protagoniste principale, vivre ce qu’elle vit. C’est une forme très exigeante : cela nécessite beaucoup de répétitions pour chorégraphier les scènes, coordonner la caméra et les acteurs.
D’après votre expérience, les femmes voulant travailler comme réalisatrice rencontrent-elles des difficultés particulières ? Il y a deux cas de figure : d’abord on peut rencontrer des interlocuteurs très courtois avec les femmes, et qui leur laissent de l’espace. Ou alors si l’on rencontre quelqu’un d’extrêmement misogyne, il peut aussi nous sous-estimer, et là on peut en profiter et tout de même s’en sortir. Donc je n’ai pas l’impression qu’être une femme soit plus compliqué, parfois je trouve plutôt que c’est une chance.
Y a-t-il en ce moment un environnement propice à la création cinématographique en Tunisie, y compris sur une thématique aussi sensible que le viol ? J’ai l’impression qu’il y a le début d’une effervescence, une bouffée de liberté qui explose. Je n’aurais jamais pu faire La Belle et la meute sous Ben Ali, alors que là j’ai reçu une aide du ministère de la culture. Ce type de financements existait déjà avant, mais il y avait une forme de censure, de contrôle opaque. Un de mes précédents films, Le Challat de Tunis, qui est basé sur une légende urbaine (un motard balafrant les fesses de femmes croisées sur sa route, Ndlr), est sorti juste après la révolution, dans une période très particulière marquée par une remise en question, une autocritique allant jusqu’à l’autodérision. Le film correspondait à l’état d’esprit général du pays, et a été très bien accueilli. Et à l’époque où le fait divers dont est inspiré La Belle et la meute a eu lieu, l’affaire a été très médiatisée, avec des manifestations de soutien, toute la société civile a participé à une forme de solidarité. Cela a contribué à ce que les policiers soient condamnés à 15 ans de prison, une première. C’est le signe que ce genre de dépassements, plus ou moins permis sous la dictature, ne peut plus avoir lieu aujourd’hui.
Propos recueillis par Sébastien Grob
Sortie nationale de La belle et la meute le mercredi 18 octobre. Avant première avec le FFM au cinéma Variétés à Marseille le lundi 9 octobre en présence de la réalisatrice (20h30) et « leçon de cinéma » avec Kaouther Ben Hania le mardi 10 octobre (de 10h00 à 15h00) à Marseille au Vidéodrome 2.