Sans « bonne maire », un goût amer
C’était il y a presque un an. Au lendemain de l’annonce par le socialiste Benoît Payan de sa mise en retrait au sein du Printemps marseillais, la future sénatrice Marie-Arlette Carlotti, de passage à la « fédé » du PS pour la présentation de son dernier livre, lui avait écrit cette dédicace : « Pour réaliser nos rêves, il faut parfois plus de temps. » Le livre s’appelait Les naufrageurs. Avec comme sous-titre : « A Marseille, ils sont encore là ».
Moins de six mois après son élection à la tête de la 2ème ville de France, l’écolo Michèle Rubirola (EELV), elle, n’est déjà plus là… comme maire même si, présidente de l’AP-HM (Hôpitaux de Marseille), elle s’apprête à devenir première adjointe en charge de la santé. Benoît Payan s’apprête, lui, à la remplacer. Avec l’aval de Samia Ghali, l’ex-sénatrice PS, l’influente deuxième adjointe qui, le 4 juillet dernier, avait permis, par son ralliement, la victoire du Printemps marseillais.
« C’était annoncé »
Comme on est à Marseille et que Samia Ghali se partage entre les quartiers nord et le Roucas Blanc, elle explique, à La Provence, son soutien au prochain maire de Marseille en parlant de contrat : « Le Printemps marseillais a choisi Benoit Payan. Quant à moi, le contrat que j’ai passé le 4 juillet, je l’ai passé avec le Printemps marseillais. J’honorerai ce contrat pour permettre de répondre aux attentes des Marseillais. » Plus prosaïquement, il se murmure qu’en échange il y aurait peut-être dans la balance la tête de la liste de gauche pour les élections départementales qui se profilent en juin. En coulisse et en haut lieu à la ville, ça ironise sec : « On ne peut pas avoir un poison pendant tout le mandat au conseil municipal…», souligne un cadre.
Qui, à propos du départ de la « bonne maire », lâche : « La démission n’était pas un coup de théâtre. C’était annoncé. Sur le fond, tout est conforme à ce qui avait été prévu. Dès le départ, il y a l’idée d’un passage de témoin. Et depuis le début, Michèle Rubirola ne voulait pas être maire. Elle est devenue sa propre victime. Il y avait un vrai blocage à la mairie parce que c’est le maire qui arbitre. Impossible en étant là que 2 ou 3 jours par semaine. Alors il a été décidé d’appuyer sur le côté santé pour que ça ne passe pas pour de la magouille. »
Pour la frange « citoyenne » de cet attelage fragile qu’est le Printemps marseillais, c’est la douche froide. Et la pétition intitulée « Sauvons la dynamique citoyenne du Printemps marseillais » de prendre une toute autre dimension. Elle a été lancée le jour même de l’annonce de la démission de Michèle Rubirola. Et ciblait l’adoption à venir lors du conseil municipal de lundi d’un « protocole restreignant le droit de grève des personnels des crèches et écoles marseillaises », la ville de Marseille réalisant l’exploit non seulement de négocier uniquement avec FO mais aussi de prendre appui sur la loi du 6 août 2019, une loi votée uniquement par la droite et LREM…
Si, depuis, la délibération a été retirée – la CGT et la FSU levant leur appel à manifester devant la mairie lundi – une nouvelle pétition vient d’être lancée : « Faire vivre la démocratie ! ». Avec, parmi ses promoteurs, Kevin Vacher du Collectif du 5 novembre, elle réclame « une grande consultation populaire pour définir le nom du ou de la future Maire de Marseille et les réformes démocratiques d’urgence à mettre en œuvre », ainsi que la convocation d’une « Convention Citoyenne Démocratique sur le modèle de la Convention Citoyenne Climat ».
Se confronter aux citoyens
Patrick Lacoste, membre de la commission « démocratie permanente » du Printemps marseillais, à l’origine du premier texte, « regrette » le départ de Michèle Rubirola. Comme le fait que « seul 1/10ème du programme du Printemps marseillais sur les questions démocratiques n’est appliqué. Comment se fait-il que les délibérations ne sont pas disponibles avant ou après chaque conseil ? Ou qu’il n’y ait que les têtes de liste qui aient fait la transparence sur leur patrimoine ? Sans qu’on sache par ailleurs leurs sources de revenus… » Et s’il prend acte du retrait de la délibération sur le droit de grève, pour lui, cet épisode montre que « le fonctionnement est encore très vertical ». Toutefois, en « off », d’aucuns pousseraient presque un « ouf » de soulagement : « Ce qui se passe prouve que tout le monde s’est entendu. Et tant mieux si ce n’est pas la guerre ouverte. Vous imaginez si Ghali en venait à vouloir devenir maire ? »
En attendant, il n’y a pas que Michèle Rubirola qui a lâché son mandat. Arnaud Dupleix, conseiller d’arrondissement à la mairie du 4-5 délégué « au cadre de vie et à la citoyenneté », vient lui carrément de démissionner : « Cela n’a rien à voir avec ce qui s’est passé avec Michèle Rubirola. C’est une fatigue généralisée. Rien n’avance ! Et, en tant que simple élu d’arrondissement, on a aucun moyen. Alors, sauf à être à la retraite ou à sacrifier le temps avec sa famille, quand on est à la base un simple citoyen, c’est impossible. » En ligne de mire ? Selon, lui, la question de la « transparence » : « En tant qu’élu d’arrondissement, on nous demande de nous prononcer sur des délibérations qui vont être présentées en mairie centrale. Mais sans qu’on ait accès aux annexes. Je veux bien que sur le côté « démocratie participative », c’est un processus un peu plus long mais sur la transparence, il y a des outils qui existent. »
Le revoilà donc simple citoyen. Sans animosité : « Benoît Payan, on le connaît, poursuit Arnaud Dupleix. La lecture de la politique qui va être menée va donc être plus simple. Après, même si la vision que l’on porte de la ville est grosso modo la même, il va falloir que les élus acceptent d’être interpellés, de se confronter aux citoyens. Mais pour l’heure, il n’y a pas beaucoup d’espaces de parole. » Lui est particulièrement investi au sein du Collectif des écoles de Marseille. Qui, lundi matin, manifestera à l’entrée de la mairie. Quand on lui demande s’il sera lui aussi du rassemblement, Arnaud Dupleix répond que non. Il sera « en vacances »…