Des citoyens en courant alternatif
De la bière d’une micro-brasserie locale, du vin et du jus de fruit bio. Ce premier mercredi d’avril, Energ’Éthique 04 de Digne-les-Bains (04) tient son « apéro sociétaires » mensuel. Crée en 2012, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIS) a notamment pour mission de développer sur son territoire la production d’énergie renouvelable ; elle est à l’origine de deux installations en toitures de 5 et 9 kWh (1). Autour de la table, les salariés de la structure et des administrateurs bénévoles. Certains sont sociétaires d’Enercoop Paca, un fournisseur d’électricité d’origine 100 % verte, et/ou de la banque éthique et solidaires La Nef.
Au menu : les finances, un nouveau projet photovoltaïque (PV), les actions en direction des particuliers (auto-réhabilitation des logements et réduction de la consommation d’énergie), la mobilisation des bénévoles et le projet Buech-Jabron-Durance Transition. Porté par des militants de l’assemblée citoyenne de Sisteron, il vise l’installation de toitures PV sur les bâtiments communaux et intercommunaux du territoire.
À écouter Arno Foulon, l’animateur régional d’Énergie Partagée (2), une association qui accompagne la plupart des projets citoyens de production d’énergies renouvelables sur toute la France, l’apéro dignois est très représentatif de la filière : « des acteurs de gauche » et des « petites surfaces de photovoltaïques ». Toute nouvelle -une dizaine d’années- elle a pour objectif de réaliser la transition énergétique, mais aussi « de faire prendre conscience aux gens, en les associant, à l’importance des économies d’énergie », insiste Arno Foulon. Son principe est simple : des habitants, avec le soutien ou non d’une collectivité, mobilisent de l’épargne locale pour une installation sur leur territoire. Ces fonds leur permettent de solliciter un prêt qui est garanti par la revente de l’électricité à EDF à un tarif réglementé (contrat de 20 ans). Les bénéfices peuvent être distribués aux actionnaires ou réinvestis, notamment dans des actions de rénovation des logements ou de réduction de la consommation d’énergie.
Paca en queue de peloton
Loin derrière la Bretagne ou Rhône-Alpes malgré son potentiel (éolien, solaire, hydraulique), en Paca, la greffe commence à prendre. La voie été ouverte par le maire écolo du Puy-Saint-André, Pierre Leroy. Dès son arrivée à la tête de la petite commune du briançonnais (05), en 2008, ce dernier a créé une société d’économie mixte de production d’énergies renouvelables dont le capital a été ouvert aux particuliers (le Ravi n°130). Depuis, huit autres projets citoyens ont vu le jour, quatre sont en développement et neuf en émergence, selon Arno Foulon. Une vingtaine d’installations qui mobilisent une centaine de citoyens régulièrement et huit fois plus en investissement financier. « C’est peanuts », reconnaît cependant l’animateur en région d’Energie partagée. La plupart des projets ne dépassent pas les 100 kWh (sept des huit projets en exploitation) alors que Paca est la troisième région française la plus consommatrice d’énergie et qu’elle ne produit que 10 % de ce qu’elle consomme. « Les centrales villageoises sont intéressantes car elles fédèrent les gens et sont immédiatement rentables, mais elles n’ont pas d’impact sur le modèle », acquiesce Jérôme Lelong, responsable du pôle production d’Enercoop Paca.
La gauche débordée
Pire, avec l’élection du LR Christian Estrosi à la tête du Conseil régional en décembre 2015, les aides se sont taries et moins de projets émergent (voir ci-dessous). La filière est aussi victime des difficultés (financières, politiques, environnementales, etc.) à faire émerger de l’éolien, de l’hydroélectricité et de la méthanisation. Mais c’est surtout du côté de l’État que les freins sont les plus forts : le poids du nucléaire freine le développement des énergies renouvelables. « On sait que l’on va devoir soutenir ce type de projets qui deviennent incontournables. Mais on ne sait pas comment. On attend les nouveaux cadres, de nouvelles directives », indique laconiquement l’antenne régionale de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. La nomination d’un ancien d’Areva à la tête du gouvernement ne pousse pas non plus à l’optimisme.
Pourtant, quelques projets maintiennent l’espoir. D’abord, parce que des projets d’éolien (Pallières dans le Var) et de méthanisation (Sigoyer et Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence) émergent. Ensuite, parce qu’un changement d’échelle commence à opérer. Enfin, de nouveaux acteurs se lancent. À Ventabren (13), dans les Alpilles provençales, ce sont des cadres du privé, certains LR tendance Fillon, regroupés au sein de l’association Ventabren Demain qui sont à l’initiative de Solaris, d’une installation pharaonique : créer sur 6 des 50 hectares d’un terrain communal classé Natura 2000 une centrale photovoltaïque de 5 à 7 Mégas Watts, soit la consommation des 5000 habitants de la commune. La valorisation agricole de 12 hectares (vignes, oliviers, amandiers, plantes aromatiques, pastoralisme, etc.) vient compléter le projet. William Vitte, un retraité de chez Dassault qui l’a pensé dès 2008, s’enthousiasme : « Il y a de la production d’énergie, de la participation citoyenne, de la protection de l’environnement, de la création d’emploi, du développement économique. On peut vraiment faire la transition énergétique ! »
Des maires très intéressés
« Dans ce genre de projet, on a tous les profils sociologiques, c’est là que c’est génial », explique Jérôme Lelong qui pilote un projet de centrale hydraulique à Velaux dans le pays d’Aix. Et de détailler les profils de Provence énergie citoyenne, l’association de préfiguration : « Le président est un mec de droite, pas écolo, mais qui trouve génial le côté convivial d’un projet de territoire ; il y a un ingénieur de haut niveau qui est passionné par son côté mécanique ; il y a aussi des sociétaires d’Enercoop, des militants de l’environnement… » « L’objet que l’on anime est étonnant, reconnaît Arno Foulon, d’Energie partagée. Il y a à boire et à manger pour tout le monde. »
Mieux, les élus s’y mettent aussi. À Ventabren, depuis les dernières municipales, la mairie est partie prenante de Solaris. Elle a payé toutes les études et a créé une commission extramunicipale de l’énergie (présidée par W. Vitte) qui porte désormais le projet. Elle est tenue par Claude Filippi, un LR tendance Droite forte… À Moissac (83), un village de 300 âmes du Verdon, après avoir résisté aux sirènes d’opérateurs photovoltaïques qui souhaitaient lui louer des terrains communaux à bas prix, Jean Bacci, le maire lui aussi LR, a lancé, il y a un an un projet de l’ampleur de Ventabren : 6 Mégas Watts sur une vingtaine d’hectares de forêt. « C’est surtout une opération financière, explique cash ce conseiller régional. Depuis 2013, la dotation de la commune a chuté. Elle sera cette année de 8 000 euros contre 60 000 euros il y a quatre ans. » Il annonce un taux de rentabilité de 6 % par an. Six fois le taux du livret A !
Jean-François Poupelin
1. www.ener04.com
2. https://energie-partagee.org
3. https://paca.enercoop.fr
4. www.ventabrendemain.fr
Cette enquête a été publiée dans le Ravi n°143, daté juillet-août