Zineb, deux ans déjà...
Depuis plusieurs jours, les murs du centre-ville de Marseille se sont couvert d’affiches à la mémoire de Zineb Redouane, 80 ans, tuée il y a deux ans d’un tir de grenade lacrymogène à Noailles. Mais, comme cela arrive parfois dans la cité phocéenne, la pluie s’invite. Et, vendredi soir, vient compromettre le début d’un week-end de commémoration et de mobilisation.
Un peu plus tôt dans la semaine, mercredi en fin d’après-midi, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées à l’angle de la rue des Feuillants et de la Canebière, au pied de l’immeuble où vivait cette dame. Pour honorer sa mémoire, quelques bougies. Mais si l’heure est au recueillement, la colère n’est pas loin. L’enquête du média Disclose est venue démonter le rapport disculpant la police, prouvant, images à l’appui, que l’immeuble de la personne âgée qui vivait au 4e étage a été délibérément visé par le tir tendu d’un CRS.
Et, à la veille du week-end, voilà que la pluie s’interrompt. Le concert qui était prévu peut se tenir dans un coin de la Plaine, sous un barnum à côté duquel a été dressée une table où l’on trouve, entre autres, l’excellent fanzine Plein le dos, recensant les messages que l’on peut lire sur le dos des gilets jaunes ou, plus récemment, des soignants. Pas loin, un atelier de sérigraphie en soutien aux avocats de la Legal Team. L’image est forte : un rat géant dressé sur une voiture de police.
Ce week-end de commémoration s’inscrit à Marseille dans un contexte des plus particuliers. Celui de la polémique suscité par le projet de loi « sécurité globale » qui vise à donner les coudées franches aux forces de l’ordre et à empêcher de les filmer. En arrière fond, à bas bruit, les deux ans du mouvement des gilet jaunes. Alors, depuis quelques semaines, les week-ends de mobilisation se succèdent. Avec, malgré le confinement, des cortèges conséquents.
Il est midi, samedi, sur la Plaine. Des livres, de la soupe, du café, un peu de musique. Et une banderole qui s’improvise : « A quand l’appli Stop Police ? » Certains écrivent des lettres à des personnes incarcérées. D’autres s’interrogent sur le sens du mot « assassinée ». Un père de famille, avec son minot, lui, se souvient. Il y a deux ans, dans le sillage des effondrements à Noailles et en écho au mouvement naissant des gilets jaunes, il défilait sur la Canebière : « Et quand j’ai vu le CRS tirer, je me suis demandé pourquoi il visait un immeuble ». On connaît la suite.
Une foule compacte descend la rue d’Aubagne en scandant : « Zineb, on n’oublie pas, on pardonne pas ». Une banderole reprend son prénom. Une autre les paroles qu’elle aurait prononcées alors qu’elle était à sa fenêtre : « Il m’a visée ». Direction le Vieux Port, point de départ de la manifestation appelée également par les organisations syndicales et politiques.
Une insoumise s’interroge à voix haute : « Bon, il est où, Jean-Luc ? » Le député marseillais, d’ores et déjà lancé dans la course à l’Elysée, est bien dans le cortège, pour réclamer ni plus ni moins le « retrait » de la loi « sécurité globale » : « Il faut jeter tout ça à la poubelle !» Un peu plus loin, un militant sur le camion de Solidaires en appelle, lui au « renversement de l’État ». Plus modeste, une pancarte plaide, elle, «pour une police humaine ». Depuis quelques jours, celle de Marseille a, à sa tête, l’ancien bras droit du préfet parisien Didier Lallement…
Le cortège s’ébroue et remonte la Canebière. Il est un peu plus de 15 heures quand il s’arrête à la hauteur de l’immeuble de Zineb. Ses proches réclament le silence : « On va faire une minute de silence et une minute de bordel, ça vous va ? » Dont acte. Un peu plus haut, devant le commissariat de Noailles, la tension monte. Le ton aussi : « Tout le monde déteste la police ! » Direction la gare puis la porte d’Aix. Les syndicats n’iront pas plus loin. Mais la manifestation continue.
Un mot d’ordre circule sous le manteau : « A partir de maintenant, saisissez-vous de toutes les poubelles que vous trouverez. L’idée est de déposer les ordures à leur place, devant le commissariat ». En cas de dispersion ? Rendez-vous au Vieux Port. Après un passage par le Centre Bourse, retour donc au commissariat. Les poubelles s’entassent et s’enflamment devant les portes du poste de police. Quelques projectiles s’envolent. La réplique ne se fait pas attendre, les gaz lacrymo viennent disperser les manifestants. Commence alors le jeu classique du chat et de la souris, dans les méandres du centre-ville tandis que les forces de l’ordre descendent la Canebière.
Après un crochet par le Vieux Port, des petits groupes tentent de rallier, sans grand succès, la préfecture. Autour du tribunal, le vent disperse les gaz, la police les manifestants. On entend parler d’un cocktail molotov sur une voiture de police, d’arrestations… La nuit s’installe. Avant que la soirée ne joue les prolongations sur la Plaine, une poignée de militants s’arrête sous la fenêtre où, deux ans auparavant, une femme de 80 ans a perdu la vie : « Zineb, on n’oublie pas, on ne pardonne pas ! »