S’éclater sur scène
« Mamou, pourquoi les haricots sont verts ? Parce que les poissons rouges mon chéri ! » Ce jeudi soir de mai, dans la salle polyvalente de Lapalud (84), petite commune du Nord-Vaucluse proche de Bollène, les élèves de CM2 déclament. Tous les parents, et plus, sont là, dans les gradins installés par la compagnie vauclusienne Eclats de scènes dans le cadre de leur évènement annuel phare, les Conviviales : du théâtre itinérant dans plusieurs communes des environs. Avec comme objectif, pour faire court, d’amener la culture en milieu rural.
Le travail de cette trentaine d’élèves s’inspire d’une pièce de théâtre – Moman, 10 fois, de Jean-Claude Grumberg – qu’ils verront quelques jours plus tard. Et c’est la relation parents- enfants qui est interrogée ici. Les enfants se répondent, tout en jeu de mots et calembours, alternant rôles d’adultes et de minots. S’ensuit le jeu de deux acteurs professionnels d’Eclats de scènes, Sarah Nedjoum et Frédéric Richaud – également directeur de la compagnie – reprenant deux drôles et attachantes saynètes écrites par Grumberg.
De la confiance au respect
« J’avais le trac mais une fois que j’ai lâché le texte, c’était trop bien. Ça passe crème », se marre l’un des artistes du jour, alignés et interrogés par Marie Delaruelle, documentariste, qui filme les enfants depuis environ un mois. Car cette classe de CM2, comme celles de trois autres communes (Malemort du Comtat, Villedieu et Bollène) est encadrée par plusieurs professionnels. D’abord par Michèle Sebastia, comédienne et spécialiste d’ateliers d’écritures, qui aident les élèves à concevoir les dialogues. Nadia Nedjoum, la comédienne, s’applique elle à la mise en voix des textes, à la posture, au jeu de scène.
« J’essaie de jouer sur tous les sentiments : la peur, la joie, la colère…, commente-t-elle. Ce genre de choses sont rares pour eux, on les emmène ailleurs. Et puis cela crée une cohésion de groupe, de la confiance et du respect : on s’écoute parler, chacun apprend à se maitriser. Au final, on s’y attache à ces gamins ! », conclut-elle. En parallèle, des élèves de CM1 travaillent sur un livret illustré avec une professionnelle. Tout un projet axé vers l’enfance, soutenu deux années de suite par la Fondation Abbé Pierre et également financé par le complexe nucléaire EDF du Tricastin. Nelly et Johnny Viala, installé à Lapalud depuis un an, sont venus voir leur nièce. Ce jeune couple ne va jamais au théâtre, ce soir, c’est leur première… Jean-Luc Contessoto est ici pour sa fille. Pour lui, le théâtre c’est le plus souvent « à la téloche ». « Je n’ai pas vraiment l’occasion d’y aller, y a pas grand-chose dans le coin vous savez. Mais c’est plus convivial en vrai », rigole-t-il.
Création et transmission
Dirigeant d’Eclats de scène depuis 2011 (la compagnie existe depuis 1998), Frédéric Richaud considère les Conviviales comme un acte politique à part entière. « Pour moi, il y a trois axes : la création, la programmation et la transmission. On essaie d’impliquer les enfants, les habitants, faire en sorte qu’ils osent franchir la porte pour qu’ils ne disent plus "le théâtre, ce n’est pas pour moi", explique l’artiste. Et cela passe par des choses simples : partager un repas avec les artistes et les habitants, boire l’apéro… Convivial quoi ! Cela crée une dynamique. Et c’est d’autant plus important dans un territoire comme celui-ci où la situation politique est très difficile : on s’adresse à une population complètement déconnectée, enclavée socialement. »
Le Nord-Vaucluse, c’est en effet la terre, particulièrement scrutée par le Ravi, de Jacques Bompard, député-maire d’Orange, ex Front national, et de sa femme Marie-Claude Bompard, maire de Bollène. Dans cette circonscription, au bord du Rhône et à l’ombre de la centrale nucléaire, les scores de l’extrême droite atteignent des records. Pour le maire socialiste du village, Guy Soulavie, ce genre d’évènements impactent finalement très peu les résultats politiques et voit plutôt « les bienfaits pédagogiques pour les enfants dans une zone en clair déficit d’offre culturel ». Il insiste sur les besoins d’une programmation « qui ne demande pas des réflexions exceptionnelles même si je sais que tout le monde n’est pas d’accord ». Frédéric Richaud : « On ne leur donne pas forcément ce que les gens demandent. Je ne veux pas exclure l’esprit de réflexion. » Tout est dit.
Clément Chassot
Article publié dans un supplément « très spécial » inséré dans le Ravi n°152, daté juin 2017