Moi, Michel Drucker, le pape du PAF
– « Formidable ! » (1)
Dans sa villa de 290 m² d’Eygalières des Alpilles où il a ses habitudes depuis plus de 20 ans, Michel Drucker est affalé sur son grand canapé rouge. Sa chienne Isia, sous ses pieds, bien évidemment. Le grand Michel, le « terminator de la télé » (2), le pape du PAF (Paysage audiovisuel français), est en convalescence. À 78 ans, il a subi en septembre un triple pontage coronarien, une opération préventive pour cet hypocondriaque de toujours. Interdit de vélo, sa grande passion, il visionne sur son magnétoscope une rediffusion de l’étape 12 du tour de France 2000. Celle où son grand copain Lance Armstrong a sournoisement laissé gagner Marco Pantani au sommet du Mont Ventoux après une ascension irrespectueuse du corps humain.
– Quel génie ! N’est-ce pas Nestor ?, demande-t-il à son majordome. (3) « Cet homme, quand il vous regarde dans les yeux, vous n’avez plus mal nulle part. » (4)
– Monsieur devrait tout de même se reposer un peu, lui répond Nestor.
– Oui je sais, « je reviens de très loin, j’ai subi une opération très lourde, je suis resté huit heures sur la table d’opération ». Mais « je refais surface peu à peu, il faut remonter la pente ! » (2). Sinon, comme vous le savez ma femme s’est absentée pour quelques jours. Et « Dany fait partie de ces femmes qui sont très fières de la réussite de leur mari. Moi, je suis quelqu’un de très adulte dans mon métier, mais de très enfantin dans la vie. Donc elle s’occupe du reste, car je suis incapable de gérer autre chose que mon métier » (5). Vous savez ce qui vous reste à faire.
– Oui oui, monsieur. Son plat préféré aujourd’hui ? Endives au jambon (6) ? Sans alcool ?, fayote Nestor.
– Bien entendu sans alcool, « tu le sais, je ne bois pas, je ne fume pas, je dors, je ne sors pas la nuit, je fais de la prévention. Je gère le temps et je fais très attention : pas de vie mondaine, je fais six heures de sport, j’ai la même femme depuis 45 ans » (7), se gargarise Michel.
– « Quelle vie de con » (8), murmure Nestor en direction des cuisines.
« Je suis le représentant des seniors«
– « Je me demande souvent comment j’ai réussi à traverser toutes ces époques et rester debout. J’ai connu trois générations d’hommes politiques, d’acteurs, de chanteurs, d’écrivains, d’animateurs télé… » (5), se questionne « Mich Mich » en engloutissant ses endives fumantes.
– Peut-être grâce à votre fausse gentillesse légendaire, votre beau profil de faux-cul et parce que vous avez déroulé le tapis rouge à tous vos amis du showbiz puis, en inventant l’infotainement à la française, à tous les politiciens !, s’enflamme d’un coup Nestor, au bord du burn-out.
– Non mais vous êtes gonflé, s’énerve Michel. J’ai commencé en 1964 comme journaliste sportif. Je me suis fait tout seul, moi le cancre, entouré par deux frères brillants, Jean et Jacques, avec l’ombre pesante d’un père médecin immigré juif fait prisonnier pendant la guerre. Au final, « j’en suis à mon 17ème patron de chaîne et à mon 8ème Président de la République ! » (9) Plus de cinquante ans de télé, plus de 60 émissions radio et télé : Sports dimanche, Tilt, Champs-Élysées, Studio Gabriel, Vivement Dimanche… Un patrimoine de plus de 11 millions d’euros… (3) Ça va, t’en veux encore ?
– C’est peut-être parce que monsieur n’était pas dans la liste des nécrologies préparées d’avance par RFI qu’il n’est pas aimable ? (10), rétorque Nestor, très content de lui.
Michel Drucker est énervé. Il ne peut pas rester en place. Lui vient alors un concept novateur que lui a inspiré le premier confinement, lorsqu’il réalisait tous les deux jours depuis Eygalières des vidéos destinées aux occupants des 7 500 Ehpad de France (11).
– De toute façon, « toutes les grandes décisions je les prends ici » (4) et « j’ai un rapport particulier avec les seniors, je suis un peu leur représentant » (12), pense-t-il à voix haute. Je reviens Nestor !
Michel saute alors avec sa chienne dans les bras dans sa vieille Twingo grise (13). Direction l’aéroport d’Avignon où est stationné son coucou, un Diamond Aircraft d’une valeur d’un million d’euros (3) après avoir préalablement passé un coup de fil à Brigitte Macron pour obtenir une dérogation auprès de son mari en ces temps de confinement. Avec un peu de matériel improvisé, il parvient à organiser une réunion Zoom entre tous les Ephad de la région, dont les occupants peuvent admirer la vue aérienne. Du jamais vu !
– Je vous montre d’abord ma maison, jubile Michel. Ça c’est la piscine ! Bon, des emmerdeurs ont failli avoir la peau de la demeure mais tout va bien ! (14). Là, les Baux-de-Provence, la maison de mon ami Jean Reno… Aaaah ! Ici, celle du grand Charles Aznavour… Je crois qu’ils l’ont vendue depuis sa mort. Là, celle de Clavier. Oh et celle d’Adjani, qui jouxte celle d’Omar Sy ! Je n’ai pas le temps de toutes les faire mais quel formidable paradis ces Alpilles, « c’est très familial, pas du tout parisien ». (4)
Michel propose maintenant aux participants de cette réunion Zoom révolutionnaire d’échanger entre eux. Un certain Serge souhaite interpeller Michelle, une voluptueuse résidente d’un Ehpad de Nice, d’origine anglaise :
– « I want to fuck her » (15), s’emballe Serge.
– « Oui alors, je vais vous traduire, he say your are great, il dit que vous êtes très jolie. Je ne peux pas vous traduire ce qu’il a dit, il a dit qu’il aimerait bien lui offrir des fleurs » (15), tente de rattraper Michel, plein de sang-froid.
– « Pas du tout, j’ai dit je voudrais bien la baiser » (15), reprend Serge.
– « Tu n’auras pas tes cigarettes » (15), plaisante maladroitement Michel.
Michel est en fait complètement désemparé. Son coucou fonce tout droit sur le sommet du Mont Ventoux, qu’il a grimpé des dizaines de fois en vélo. Il redresse, il redresse mais… BOUM ! Un fracas énorme puis une colonne de fumée. Les secondes passent. Les minutes. Puis la carlingue commence à frétiller. Un bout de taule est expulsé à quelques mètres et alors que la fumée s’estompe, la silhouette du pape du PAF émerge, debout, comme un guerrier romain. « À la fin il n’en restera que deux » (16) : Michel Drucker et sa chienne.