Mélenchon résiste et signe
Une scène, celle du Cabaret rouge. Et un homme, dont tous les militants de la France Insoumise attendent avec impatience l’élection : Jean-Luc Mélenchon, fort de ses 19 % de la présidentielle et dont le mouvement revendique plus de 500 000 adhérents… 20 heures au QG marseillais du Dock des Sud où la presse locale et nationale ont aussi été conviés… Dans cette salle dédiée à la « fiesta », nombreux célèbrent déjà une victoire qui leur semble assurée.
« Ça va le faire, c’est sûr » s’exclament nonchalamment les militants. La bande son est au reggae avant que la samba ne prenne le dessus. Et cette joyeuse troupe est aussi rythmée par les annonces successives des résultats nationaux diffusés par une petite télévision. Acclamations ! Cambadélis, chef du parti socialiste, vient d’annoncer sa démission, consommant la déroute d’un PS crépusculaire au terme d’une campagne catastrophique. « C’est nous la gauche maintenant ! », se réjouit une militante.
Pour ces « Insoumis », la victoire est logique à Marseille. « La population est de plus en pauvre. Ils en ont marre des mêmes politiques depuis 20-30 ans », commente Alexis, un jeune militant de 23 ans. Mélenchon, c’est le renouvellement des idées. Macron c’est celui des visages ! » Et ne leur parlez pas de parachutage. « En politique tout est stratégie. Au moins on a enfin une grande figure politique qui va porter les problèmes de Marseille sur la scène nationale. »
« On ira dans la rue » Pour eux, il s’agissait avant tout de répondre ce soir au « désastre » des derniers jours. « On nous a volé les élections », affirme Marie, 23 ans. « On parle de raz-de-marée alors que Macron n’a comptabilisé que 15 % des électeurs. Une honte. » Avec une abstention de 51,29 % au 1er tour, LREM a en effet rassemblé moins d’1/5ème des électeurs inscrits. Avec ses 17 sièges parlementaires, la France Insoumise pourra désormais former un groupe parlementaire sans même devoir s’allier avec les élus PCF [En Paca, Pierre Dharréville, n°1 du PCF dans les Bouches-du-Rhône, soutenu par LFI a été élu avec 62,41 % / Ils seront 11 élus communistes à l’Assemblée]. Mais sera-t-elle réduite à de la figuration face à la majorité de LREM (319 sièges sans compter les 42 du Modem) ?
« Au moins on gagne en visibilité dans les médias. Après ça sera assez dur. Surtout que Jean-Luc Mélenchon n’est pas réputé pour son goût pour les alliances », sourit Marie. Mais beaucoup de militants aux Docks pensent que l’action va se dérouler ailleurs que dans les travées de l’Assemblée nationale. « Face au roi ‘’Jupiter’’, on ira dans la rue » affirme une Insoumise de 35 ans. « On fera comme toujours, c’est-à-dire dans la rue, mais peut-être avec un peu plus de légitimité désormais », surenchérit son voisin.
Beaucoup déplorent un Mélenchon bashing, avec le « rôle ignoble joué par les médias » diffusant l’image d’un Chavez plutôt que d’un démocrate. 20h50. L’intéressé fait son entrée. « Il va parler », s’enthousiasme une jeune fille. Tous se précipitent. Entre alors « Jean-Luc » qui fait du Mélenchon, n’hésitant pas à citer « l’histoire avec un grand H ». Concernant l’abstention record de 57 %, du jamais vu à un second tour d’élections législatives : « notre peuple est entré dans une forme de grève générale civique […] faisant ainsi la démonstration de l’état d’épuisement d’institutions qui prétendent organiser la vie de la société avec un mode de scrutin où une minorité étriquée à tous les pouvoirs. » Tonnerre d’applaudissements : « Résistance, résistance, résistance ! »
Très vite, LREM est ciblé : Mélenchon dénonce une « majorité sans légitimité […] pour changer la Constitution », une « majorité boursouflée » qui va « perpétuer un coup d’Etat social ». Dans une loi qui sera présentée le 21 juin en Conseil des ministres, le gouvernement prévoit de pérenniser certaines mesures de l’état d’urgence qui demeureront une fois ce régime exceptionnel levé. Puis le porte parole de la France Insoumise d’appeler à la formation d’un « nouveau front populaire, politique, social et culturel », condition des « jours heureux » espérés au premier tour de la présidentielle. Et de conclure : « On vient de m’apprendre que TF1 a annoncé ma victoire à plus de 60 %. Je remercie Marseille de m’avoir dit oui ! »
Doublés par les « marcheurs » Une militante glisse à son ami, ému aux larmes par la victoire du porte parole « Insoumis », qu’il « ne faut pas pleurer ». Pourtant, le sentiment est double ce soir. Bien sûr il y a la victoire de « Méluche ». « Ça faisait 20 ans que j’avais démissionné du vote, avoue Laurent, 54 ans. Mélenchon, c’est le seul véritable humaniste chez les politiques. » De l’autre, la déception de ne pas résister plus encore à la vague macroniste qui incarne ici « le monde de la finance ». Il s’en est fallu de 1000 voix pour que Marseille envoie à l’Assemblée nationale un deuxième député « Insoumis », Hendrik Davi (47,8 %). Il avait réussi au premier tour la prouesse de battre le dauphin de Jean-Claude Gaudin (LR). Mais au second round, c’est Cathy Racon-Bouzoin (LREM) qui l’a donc emporté. Et ce sont aussi des « marcheurs » (Alexandra Louis, Saïd Ahamada) qui ont aussi eu l’honneur de battre l’extrême-droite dans les circonscriptions au Nord de Marseille.
Autre lieu, autre ambiance. Corinne Versini, macroniste en chef dans les Bouches-du-Rhône, « référente départementale » de « En marche », a sportivement reconnu sa défaite (40,19 %) : « Félicitation à Monsieur Mélenchon ! » A son QG, le MundArt, restaurant très chic du 2ème arrondissement, ce n’est pas la folie malgré les bons résultats de LREM dans le reste de la ville [4 nouveaux députés, sur les 7 que compte Marseille : Claire Pitollat (qui bat Dominique Tian de LR), Alexandra Louis (qui bat Stéphane Ravier du FN), Cathy Racon-Bouzon (qui bat Hendrick Davi de LFI), Saïd Ahamada (qui bat Sophie Grech de LR)] sympathisants et militants se comptent sur les doigts de la main. A 21h30, devant quelques journalistes Versini confie son sentiment : « déçue mais pas surprise. » S’avouant « moins expérimentée », la chef d’entreprise aixoise, dont le leadership est déjà contestée parmi les « marcheurs » locaux, prendra juste un jour de congé avant de repartir… au boulot. « Le sentiment du devoir accompli… »
Valentin Pacaud
Article mis en ligne le 19/06/2017