Face au FN, le dessin se rebiffe
18 heures, 14 juin, calme et sérénité règnent au très paisible Bar Albert situé à l’Estaque dans les quartiers nord de Marseille. Quelques habitués joueurs de cartes et buveurs de pastis emplissent l’espace dans une ambiance carte postale, façon Pagnol ou Guédiguian. Pourtant, c’est bien ici que le Front national est arrivé en tête au 1er tour des législatives. Sa candidate, Sophie Grech, une inconnue, a rassemblé 23,1 % des suffrages exprimés dans la 7eme circonscription. Le député sortant, Henri Jibrayel (PS), ayant été sèchement éliminé, l’extrême droite affrontera Saïd Ahamada (LRM et Modem, 19,9 %) au second tour.
Mais le grand vainqueur a été l’abstention, astronomique : 67,4 % ! Dans la circonscription voisine, la 3ème, toujours au nord, le FN a aussi viré en tête avec 30,84 % des suffrages exprimés au bénéfice de Stéphane Ravier, sénateur maire du secteur. Le « dictateur Nord-Phocéen » comme l’ont rebaptisé d’anciens amis, entrés en dissidence, du chef de l’extrême droite locale, sera confronté lui aussi à un candidat de la génération Macron : Alexandra Louis (24,89 %). Là, l’abstention s’est élevée à « seulement » 59,33 % ! De fait, Grech et Ravier n’ont fédérés « que » 7,3 % et 12,23 % des électeurs inscrits… C’est peu mais suffisant pour tenter de devenir députés.
« L’horreur et le choix des autres » Il n’en fallait pas plus pour mobiliser Fathy Bourayou, caricaturiste, compagnon de route du Ravi et directeur artistique du FIDEP, le Festival International de la caricature, du dessin de presse et de la satire de l’Estaque ! Le voilà débarquant chez Albert, avec une dizaine d’amis, pour de lancer dans une session de collage très particulière sur cette terre d’accueil marseillaise de la satire en placardant des dessins de presse contre le Front national. A cette occasion, pas de politiques.
« La force de cet évènement c’est que seuls des dessinateurs en sont à l’origine, souligne Fathy Bourayou. Nous faisons ça contre et loin de la démagogie politicienne. Les politiques ont failli à leur mission. » Pour le caricaturiste, le FN c’est de « l’opportunisme » qui profite du désarroi de « gens perdus par un clientélisme à la marseillaise ». L’urgence est celle de la mobilisation. Pour Mireille Lando, présidente du FIDEP, coller des dessins satiriques, c’est offrir à tous « un support pédagogique » pour combattre l’abstention qui laisse s’immiscer « l’horreur et le choix des autres ». Pourtant, il ne s’agit « pas de faire campagne pour le candidat restant contre l’extrême droite mais plutôt de répondre de manière citoyenne et viscérale au FN afin de rappeler que derrière le FN se cachent des dangers inquiétants… »
« Détruire les frontières de la bêtise humaine » Au total, c’est une centaine de caricatures, certaines déjà présentées à l’exposition Le FN au bout du crayon, initiée par l’association Le Crayon en partenariat avec le Ravi et le Fidep, par une centaine de dessinateurs différents qu’ils comptent afficher dans les rues de l’Estaque. Parmi eux, un dessin de Saad Hajo, un caricaturiste iranien réfugié en Suède, spécialement produit pour l’occasion ! 19 heures, la joyeuse troupe se met en route. « N’oublie pas la colle » lance-t-on à Thierry, un « colleur » expérimenté. En deux trois coups de pinceau, les affiches du Front national mais aussi celles d’Henri Jibrayel, sont recouvertes.
Fathy, short et chapeau de paille, explique avec vigueur la fonction de la caricature : « une arme redoutable, le complément d’analyse indispensable d’une réflexion sérieuse qui permet de détruire les frontières de la bêtise humaine. » Alors, quoi de mieux, selon lui, que le dessin pour attaquer un parti « absolument contraires aux valeurs républicaines » ? Fin 2016 Stéphane Ravier s’était par exemple vanté d’expulser tous les Roms de l’arrondissement. « Votre maire va harceler démocratiquement les autorités afin que ce campement soit démantelé », pouvait-on lire dans son bulletin municipal… Ce mercredi à la chaleur estivale, le collage des caricaturistes déchainés, s’est prolongé dans la soirée. Avant, avec le sentiment du devoir accompli, un retour au bar Albert pour une nouvelle tournée amplement méritée !
Valentin Pacaud
Article mis en ligne le 15/06/2017 Ne manquez pas le numéro spécial « législatives » daté juin du Ravi (chez vous en vous abonnant ou chez les marchands de journaux en Paca)