Le retour des papivores
Le papier n’est pas mort ! Quand il s’agit de se « diversifier », les médias pas pareils ne sont pas en reste. En la matière, L’Âge de faire commence à avoir de l’expérience. « Notre premier hors-série, se souvient Fabien Plastre, en charge de la diffusion, c’était sur les monnaies locales. Ça avait la taille du journal et l’idée était de le vendre pas cher, par paquets. La réédition sous forme de dépliant a mieux marché. Mais notre plus gros succès, c’est La main à la pâte, des reportages déjà publiés pour lequel on a fait refaire la maquette, la Une… » Lancée via une souscription, la quasi totalité des 5 000 exemplaires a été diffusée. Un numéro 2 vient d’être lancé, dans le sillage de La petite fabrique, compilant des « fiches pratiques »...
À l’instar de Reporterre, le pure player écologiste qui édite une collection au Seuil, le mensuel écolo L’Âge de faire s’est aussi aventuré dans le monde du livre. « Au départ, rappelle Fabien, Sexy Linky, c’est un hors-série rassemblant les articles de Nicolas Bérard sur le compteur. En un mois, on en a vendu un millier ! On a donc lancé une réimpression. » A surgi alors Le passager clandestin, un éditeur avec lequel est née une version non seulement augmentée mais diffusée en librairie : « Le faire nous-mêmes aurait été trop compliqué. Ce sont d’autres circuits, pas la même TVA... Et on ne peut pas démarcher des libraires avec un seul livre ! Là, ça nous a permis, comme avec les salons, de toucher un autre public. » Et de réitérer l’expérience avec le nouvel opus de notre confrère, 5G mon amour.
Mais, à côté de CQFD, ce seraient presque des amateurs : « Dès le départ, avec les éditions du Chien rouge, a été pensé le fait d’éditer des livres », précise Iffik le Guen, cheville ouvrière du titre. Et qu’importe un couac comme ce hors-série « photo » qui a failli couler le canard ! « On est resté dans un entre-deux qui n’a convaincu ni nos lecteurs ni les amateurs de photos. Ce qui nous a coûté 14 000 euros ! » Mais CQFD peut compter sur des valeurs sûres comme L’abrégé du Capital. Ou de jolis coups comme la réédition de L’instinct de mort de Jacques Mesrine. Sauf que le livre est sorti juste avant le biopic ! « Ça s’est réglé au tribunal où, au nom du droit moral, on s’est engagé à ne pas le réimprimer. » En attendant, 3 000 exemplaires désormais « collector » auront été écoulés.
Avec Péage sud, la rencontre à la première personne entre une plume du journal (Sébastien Navarro) et les Gilets jaunes, le Chien rouge avait tablé sur les « 2 ans du mouvement. On était prêt à accompagner la sortie avec une tournée. Et puis, il y a eu le confinement ». Heureusement, le mensuel comme sa maison d’édition, repose sur un modèle où tous sont bénévoles ou presque. Mais « en contrepartie, dixit Iffik le Guen, on n’hésite pas à accompagner des projets – comme ceux de nos dessinateurs – qui, sans nous, n’auraient peut-être jamais vu le jour ». Depuis, Sébastien Fontenelle, le pourfendeur des « éditocrates » qui officie comme chroniqueur à Politis, a été publié chez Libertalia et même la Découverte.
Le plus bel hommage, c’est peut-être celui qui vient du pure-player phocéen Marsactu: « Cette année, c’est nos dix ans. On avait prévu plein de choses. Mais, avec le Covid, la seule chose qui reste, c’est publier un best-of comme en 2015 quand nous avions récupéré notre site à la barre du tribunal de commerce », explique Lisa Castelly. Par sécurité, Marsactu est passé par une souscription : « Ça a très bien marché avec plus de 400 préachats, le double de nos prévisions. De quoi nous donner l’envie de sortir des hors-séries plus régulièrement. C’est une demande de nos lecteurs. Et nous sommes nous-mêmes des papivores ! »
Socialter, le « média des transitions », passe aussi par le financement participatif pour ses hors-séries, avec de beaux succès en récoltant dix fois plus que l’objectif initial prudent de 400 exemplaires ! Il faut dire que la revue invite des rédacteurs en chef prestigieux : l’écrivain Alain Damasio, le philosophe Baptiste Morizot… Mais le meilleur argument commercial, c’est celui de nos collègues grenoblois du Postillon qui viennent de sortir leur premier hors-série, Mélancolie postale, sur les transformations de La Poste : « Si vous avez déjà lu tous les articles, n’hésitez pas à l’offrir à votre facteur. » Imparable !