Quand 13 Habitat ne veut pas rénover une passoire thermique
Deux mois et demi après la rentrée, Nadia Oulmi est enfin soulagée. Depuis la première semaine de classe, Kassim, son fils de trois ans et demi, n’a plus manqué un jour d’école. Début septembre, le petit garçon avait été terrassé par une énième crise de fièvre et d’asthme, des maux qui lui ont gâché sa première année de maternelle. Pour sa maman, ce miracle est dû à son changement d’appartement : au lendemain des nouveaux problèmes de santé de Kassim, et après un énième et vain appel à 13 Habitat, son propriétaire et bailleur social du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, présidé par le LR Lionel Royer-Perreaut, cette quadra, également mère d’une jeune femme de 20 ans, a forcé la porte d’un T3 ensoleillé au troisième étage de sa résidence Louis Loucheur, dans le 5ème arrondissement.
Le T4 de 53 m2 qu’elle loue très officiellement depuis un an et demi dans la cité Jardin est lui au rez-de-chaussée, côté nord. Selon, Nadia Oulmi il est gangréné « par le froid et l’humidité ». « Je l’ai découvert au début de l’automne de l’année dernière, raconte cette coiffeuse au chômage. Des champignons sont apparus et l’hiver il y avait de l’eau sur les murs et le sol ! Surtout, mon fils a commencé à être malade, on était tout le temps à l’hôpital. » Elle-même explique avoir développé de l’arthrose et sa fille des problèmes respiratoires. Des maux courants dans les logements humides et mal isolés, comme le rappelle la Fondation Abbé Pierre dans son rapport 2017 sur le mal logement.
Le constat est confirmé quelques mois plus tard, à l’occasion d’une expertise de l’assurance de la locataire suite à un dégât des eaux dans sa salle de bain. L’expert diagnostique un pont thermique, une rupture ou absence d’isolation du bâtiment. « En l’absence de complexe isolant sur la façade et sur les murs donnant en extérieur, [cela provoque] un condensat [dans l’appartement] », explique l’assureur par mail, qui conseille à Nadia Oulmi de « solliciter 13 Habitat pour une isolation par l’intérieur des murs froids ».
Bienvenue au « Pôle Nord »
De plus, la problématique est visiblement très partagée dans cette cité proche du centre-ville. Une des voisines de Nadia Oulmi, installée depuis 2010, explique ainsi subir les mêmes maux qu’elle depuis trois ans, avec pour conséquences de très graves problèmes respiratoires. Une autre, arrivée plus récemment, a déjà allumé le chauffage en cette mi-novembre ensoleillée et a fini par déplacer la chambre à coucher parentale dans la cuisine. « Le côté où il y les chambres, on appelle ça le Pôle Nord », rigole cette mère de deux enfants, dont la fille souffre également de problèmes respiratoires chronique. « Je ne suis pas certaine que l’humidité soit la cause des cas d’asthme, note-t-on à la pharmacie du quartier. Mais il est certain que beaucoup d’habitants de la cité dénoncent ce problème. »
Dès octobre 2019, Nadia Oulmi, elle, contacte son bailleur, à qui elle adresse de multiples courriers avec accusé de réception. Sans réponse, elle réalise des travaux à ses frais : achat de déshumidificateurs, isolation des sols, rénovation des peintures. Les pots traînent d’ailleurs toujours dans l’entrée. « Dès que des traces d’humidité apparaissent, je les recouvrent », explique la maman. Pour préserver son fils, qui commence à multiplier les séjours aux urgences pédiatriques de La Timone, elle multiplie les nuits à l’extérieur, en hôtel. Et d’assurer : « Dès qu’on quitte l’appartement, Kassim va beaucoup mieux. »
Après le sinistre et l’expertise, le bailleur est toujours droit dans ses bottes de pluie et semble trouver qu’il est toujours urgent d’attendre. Le 11 mars, juste avant le premier confinement, la locataire saisit alors le service hygiène et sécurité de la ville de Marseille. Le lendemain, elle porte plainte « pour refus sans motif légitime, malgré mise en demeure, d’exécuter les mesures pour remédier à l’insalubrité d’un immeuble ». Puis elle contacte également deux médecins, qui appuient l’idée d’un déménagement dans un milieu plus accueillant pour son fils, « aéré et ensoleillé ».
Urgence d’attendre
Curieusement 13 Habitat, qui dénonce l’agressivité de Nadia Oulmi envers ses agents, ne se réveille qu’après ces démarches. Si le bailleurs refuse des travaux d’isolation, il lance une intervention pour régler le problème de fuite d’eau et rénover la salle de bain le 18 mars, en plein confinement. « Nos services avaient identifié la cause principale de l’humidité alors présente dans le logement : il y avait une fuite dans la salle de bain mitoyenne à la chambre et la VMC (ventilation mécanique contrôlée) était défectueuse. Nous avons donc réparé la fuite, nous avons changé la VMC et nous avons rénové totalement la salle de bains (douche, lavabo, toilette). Les menuiseries ont été vérifiées de même que l’installation électrique. Ainsi, la source d’humidité qui venait de l’intérieur du logement a été traitée et neutralisée », insiste 13 Habitat dans une réponse écrite au Ravi.
Puis, dans un second temps, de préciser : « Une réunion d’expertise a été organisée par la garantie de protection juridique de la locataire, sur place, le 25 août dernier, aux motifs de “désordre en provenance d’une insuffisance du système de ventilation dans l’appartement”. Lors de cette réunion, il a été constaté que la VMC de la cuisine fonctionne, de même que celle de la salle de bain, et qu’il n’y a pas de traces de condensation ou de moisissures. » Une mascarade selon Nadia Oulmi : « Cette expertise a été réalisée en plein été et est sans lien avec le problème soulevé par mon assurance, le pont thermique. » Et de rappeler que la salle de bain avait eu droit à de nouveaux travaux fin juillet, ce que confirme 13 Habitat. Sans plus de résultat : lors de la visite du Ravi mi-novembre, les murs la pièce d’eau présentent de nouveaux des cloques et du salpêtre, les joints sont noirs…
Grand seigneur, le bailleur assure avoir cependant lancé cet été une procédure de relogement pour, dixit, répondre au « souhait de changement » de Nadia Oulmi. Une proposition aurait été faite en commission d’attribution des logements, qui l’aurait recalé pour cause d’appartement trop petit pour la famille. Avant finalement d’entamer en septembre une « procédure expulsion du logement [que Nadia Oulmi] occupe illégalement » (1). Du côté du service hygiène de ville, on se voulait plutôt rassurant début octobre, promettant au Ravi qu’un relogement aurait lieu. La mère de famille n’a, elle, qu’une certitude : « Depuis qu’on est au 3ème étage, on va tous beaucoup mieux. Surtout Kassim, qui n’a plus de problème de santé et retourne à l’école. »
1. Mi-novembre, Nadia Oulmi assure n’avoir toujours pas reçu d’avis d’expulsion ni été informée de la proposition de relogement.