« Je suis un candidat balafré »
18h37 Après une visite de courtoisie à Jean-Claude Gaudin, le maire Les Républicains (LR) de Marseille, et une pose photo pour l’AFP rue de la prison (sic), François Fillon doit rejoindre Pertuis, en Vaucluse. Le candidat de la droite à l’élection présidentielle a été, la veille, mis en examen pour détournements de fonds publics et abus de biens sociaux dans le cadre des emplois présumés fictifs de sa femme Pénélope comme collaboratrice parlementaire. L’ancien Premier ministre vole en fait la vedette à l’un de ses lieutenants, Bruno Retailleau, initialement le seul annoncé lors de cette rencontre publique. Et pour cause, ce 15 mars François Fillon devait être convoqué chez le juge d’instruction !
18h38 Le meeting se déroule dans la salle polyvalente de la ville. Le service de presse a prévenu : tout le monde ne pourra pas rentrer. Cela s’agite en centre-ville. De plus en plus bruyamment, un concert de casseroles se fait entendre. « Une initiative spontanée, explique Francine, la cinquantaine, armée de sa popote. On a su qu’il venait ici ce matin seulement. » Un peu plus loin, alors que le show Fillon va commencer, c’est la cohue. Une bonne soixantaine de jeunes et moins jeunes, retenus derrière des barrières par une quinzaine de flics débordés, frappent leurs ustensiles au son de « Fillon en prison » face à une cinquantaine de militants fillonistes qui n’arrivent pas à rentrer.
18h47 « Bonsoir Pertuis ! » Julien Aubert, le (jeune) député LR du coin et fidèle de François Fillon dans la tempête, lance les hostilités. Des enceintes permettent d’écouter le discours à l’extérieur. Mais il faut en être très proche. Le bruit des casseroles couvre tout le reste sauf les « Fi-llon président ! » qui se confondent avec les « Fi-llon, en prison ». Les invectives fusent. Un homme assez imposant en vient aux mains avec un papi, pull de droite noué sur des épaules de droite. La police les sépare. Et ce n’est pas un cas isolé. Surréaliste.
18h53 Julien Aubert parle de « remontada » pour son candidat. Clin d’œil à la folle remontée du FC Barcelone face au Paris Saint-Germain. Et la « debandada » ?
18h57 C’est au tour de Roger Pellenc, maire LR de la ville, de s’exprimer. A l’extérieur Gérard (le prénom a été changé, Ndlr), en triptyque moustache, béret, lunettes, a l’air de s’amuser. Ce paysan de la commune voisine de la Tour d’Aigues, gaulliste puis fidèle du RPR, vote Front national depuis une vingtaine d’années : « J’en ai ras la casquette de voir Fillon s’en prendre plein la tête depuis deux mois. Oh, tout le monde y pique dans la caisse… Je me suis décidé, pour la présidentielle j’irai voter pour lui. »
19h02 C’est maintenant au pagnolesque Jean-Claude Gaudin de promouvoir le candidat. Pourtant, il n’a pas été le plus fervent soutien du Sarthois lorsqu’il s’agissait encore de faire sortir du chapeau un plan B. Mais Gaudin fait du Gaudin. « Il faut se rassembler, il est le seul candidat capable de redresser la France et d’obtenir une majorité aux législatives », scande-t-il. « On veut nous voler l’élection, on ne se laissera pas faireuuh », continue-t-il sous les hourras des militants. D’ailleurs, toujours pas moyen de rentrer. Les sortants, surtout des personnes âgées au visage desséché ou des couples venus en famille, préviennent : « C’est la fournaise à l’intérieur. On n’avance pas et on n’entend rien ! »
19h04 Gaudin continue, pas pour tellement longtemps : il s’exprimera 6 petites minutes. Il s’en prend à Emmanuel Macron : « candidat complice des médias, issu des cercles intellectuels de la rive gauche et des circuits financiers de la rive droite. Le même qu’Hollande sans le casqueuh de scootèreuh » Punchline.
19h06 On applaudit pour faire venir La star. Bruno Retailleau n’aura pas dit un mot.
19h07 François Fillon monte sur la scène. Il commence par remercier ses lieutenants. Puis enchaîne en mode « rebelle ». Il lâche un peu plus tard : « Je suis un candidat balafré ! » Plutôt Captain Flam ou Scarface ? « Je ne baisse pas la tête devant les balles des mes adversaires. » Une formule aussi extravagante qu’elle fait mouche auprès des militants.
19h09 Fillon selon Fillon serait le seul à pouvoir « défendre les valeurs de la droite et du centre face à Marine Le Pen » et « redresser la France ». « On veut me faire taire ? Je persiste et je signe », s’égosille-t-il avant de continuer sur les « valeurs » : « Je suis fier d’être français […] et oui j’assume d’avoir des racines solides » en affirmant qu’il est « bien plus facile de mélanger la culture dans la marmite » ou encore qu’ « être français est un privilège »…
19h16 L’opération « fachos séduction » continue, plus ou moins brillamment : « Ici au Pertuis, nous sommes dans le Vaucluse. » « A Pertuis ! », semble crier la foule. « À Pertuis pardon. Mais on est bien dans le Vaucluse ? » Pas de chance, on dit en Vaucluse. Mais l’occasion est la bonne pour que le candidat cite Avignon, récupère son festival de théâtre et son créateur, Jean Vilar : « Eh bien j’affirme ici qu’il y a une culture française. C’est un fleuve qui irrigue notre langue, nos arts, nos coutumes et notre imaginaire. Bien sûr il y a d’autres sources mais le fleuve central il est là. » L’art de retourner les morts.
19h25 Des gens continuent de sortir, sans que personne ne puisse rentrer. Les casseroles résonnent plus que jamais. Deux dames âgées, genre BCBG, se demandent pourquoi la police ne vire pas manu-militari les manifestants. « C’est inadmissible ! », pestent-elles.
19h29 Le candidat déroule son discours. D’abord sur l’économie : 40 millions de charges en moins pour les entreprises, la fin des 35 heures, la retraite à 65 ans mais une revalorisation pour les plus petites d’entre elles. « Dans ce domaine, on vous ment depuis 30 ans », lâche-t-il en s’y incluant probablement puisqu’il a été premier ministre de 2007 à 2012.
19h32 Il embraie sur la sécurité : « Je vous le dis, moi à l’Elysée, il y aura de la fermeté. Ça changera ! » Hourra du public. Puis il promet de virer tous les salafistes et, dans un curieux mélange des genres, affirme qu’il existe « des devoirs avant les droits. Je porterai le délai de carence à 2 ans pour les étrangers avant qu’ils ne puissent recevoir des prestations sociales ». Il en profite pour faire une tirade sur la famille, « le pilier de la République » et sur l’école : c’est la première fois qu’il annonce sa volonté d’y imposer l’uniforme.
19h37 Un jeune homme ferme les volets de son appartement en demandant aux agitateurs de la fermer. Sous sa fenêtre, une feuille avec l’inscription : « Votez sticules ! »
19h42 Une page internationale avant d’en finir : « Les amis, maintenant au travail ! Rejoignez-nous, unis et invincibles. Vive la France, vive la République ! » La Marseillaise est chantée en chœur.
19h45 Tout le monde sort, c’est un déferlement de militants enragés qui s’en prennent sous le regard de la maréchaussée aux manifestants. Un papi, béret sur la tête, visage rouge et yeux presque révulsés, sort pour l’occasion ses plus beaux doigts d’honneur et autres gestes salaces. Une jeune manifestante crie « Honte à vous ! ». Le gendarme lui demande de ne pas provoquer, elle répond que ce sont eux les provocateurs. Sourire dudit gendarme. Spectacle affligeant.
19h55 le Ravi entre enfin dans la salle ou règne une belle odeur de transpiration. Tous les élus ont déguerpi à l’exception de la fidèle députée marseillaise Valérie Boyer, qui fait le job auprès des journalistes. Jusqu’au-boutiste.
Clément Chassot
Ce « contrôle technique de la démocratie » a été publié dans le Ravi n°150, daté avril 2017.