Sous le capot de la métropole
« Vouloir pour l’an II de la métropole, que l’audace nous guide », lance Jean-Claude Gaudin, le sénateur-maire LR de Marseille et président métropolitain, en ouverture de la sauterie organisée fin janvier pour officialiser le partenariat entre la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille et la métropole (CCIMP). Avant que la valse des courtoisies ne laisse place à la présentation d’un catalogue de projets.
Dans cet inventaire à la Prévert, il y a l’Agence de promotion économique métropolitaine, dont le rôle est de « chercher des investisseurs financiers, pour faire rayonner le territoire, dans l’objectif de créer les 60 000 emplois manquants » et être à la hauteur de ses consœurs. Il y a aussi les locaux parisiens mis spécialement à disposition de la métropole par la Chambre de commerce pour que les grands de ce monde se rencontrent et décident des actions de politique publique à mettre en place sur un territoire éloigné… de 800 km. « C’est un élément qui n’a pas été fait par les autres métropoles », fanfaronne Jean-Luc Chauvin, le tout nouveau patron de la CCIMP, ancien patron du Medef local. On se demande jusqu’où s’étendra « l’audace » métropolitaine…
Pour Jean-Claude Gaudin, elle n’a pas de limite. Le président de la collectivité née aux forceps il y a un an, qui regroupe six intercommunalités et 92 communes, promet encore de « sceller pour l’année 2017, une alliance stratégique entre le Grand Port Maritime de Marseille et la Métropole ». « Il faut nous organiser ensemble, pour capter les marchandises qui passent en Méditerranée », tance le maire de Marseille, qui voit dans cet accord un générateur de futurs milliers d’emplois. La démarche se concrétise pourtant pour commencer par la petite porte : le pacte d’innovation Etat/Métropole du 27 janvier a annoncé la création d’un « smart (small ?) Port » métropolitain, une communauté d’acteurs ultra connectés dont le but sera de faciliter les échanges commerciaux…
L’optimisme coûte que coûte
Malgré tout, Jean-Luc Chauvin en est sûr : « L’année 2017 sera forcément métropolitaine ! » Un optimisme – en forme de mantra – partagé par la conseillère départementale écologiste Michèle Rubirola, qui rappelle les compétences anciennement affiliées au département et transférées à la métropole : « Les aides pour les jeunes et au logement, le transfert de la Régie départementale des transports et, surtout, un vote pour un grand projet alimentaire territorial qui rapproche les producteurs locaux des consommateurs. » Reste que l’élue concède, in fine, la lente mise en route de la métropole…
Même les plus optimistes s’accordent à dire que cette dernière n’en est qu’à ses balbutiements. Des « querelles de clochers », au manque de budget, en passant par une cogestion politique mortifère, l’autoproclamée métropole ambitieuse et rutilante manque de reprise. Pour preuve : l’agenda de la mobilité voté en décembre dernier, le joyau de la couronne métropolitaine exhibé à bout de bras par tous les élus interviewés, toussote déjà. Son objectif est de doubler l’usage des transports en commun en 15 ans et d’augmenter d’un quart les déplacements à vélo et à pied. « L’année 2017 sera marquée par une seule autorité de transport, la mise en place d’un ticket unique et de nouvelles liaisons du réseau "metroexpress" aux plages horaires élargies », a encore promi le 20 janvier Jean-Claude Gaudin. « C’est l’unique projet d’envergure clôturé par la métropole », résume Stéphane Mari, conseiller métropolitain PS, membre de la commission des transports.
Mais la route semble bien longue. Estimé à plus de trois milliards d’euros, le budget de l’agenda de la mobilité est trois fois supérieur à celui consacré chaque année par la métropole à l’investissement. « Elle n’a pas les moyens, il faut une continuité de l’aide de l’Etat. Une mission d’expertise va venir en mars afin de construire une structure juridique sur le modèle du Grand Paris », reconnaît Stéphane Mari. Avant lui aussi de céder à l’optimisme : « On va y arriver ! » À croire que « la positive attitude » de la communication métropolitaine, chère à l’ancien premier ministre Raffarin et à la chanteuse Lorie, a contaminé les esprits…
Une mécanique mal huilée
Les finances ne sont cependant pas le seul frein à la mise en route de l’agenda des mobilités. Marc Poggiale, conseiller métropolitain PCF, regrette de son côté un manque de concertation et de réflexion sur le sujet. « Le rapport a été présenté le jour du conseil, on méritait plus de temps pour affiner les projets. La circulation du fret n’a pas été abordée, le projet de tramway marseillais qui va de la préfecture à la Place du 4 septembre est une erreur. Un développement des transports du côté de l’hôpital Nord aurait été nécessaire », peste le communiste.
Résultat, Gérard Chenoz, président du groupe majoritaire « Réussir la métropole » (LR), demande quatre ans pour fédérer autour d’un projet métropolitain commun, qu’il estime aujourd’hui inexistant, et pour que « les rivalités et les querelles de clochers s’apaisent ». Et de juger, catégorique : « L’ensemble de la population n’a pas pris conscience de ce qu’est une ville-monde. » Comme, semble-t-il, une bonne partie des 240 élus métropolitains…
Ancien président du conseil de développement de la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole et fervent défenseur de la métropole, Jacques Boulesteix fustige également l’inertie de la politique locale. « Tout le monde veut s’ajouter un bout de tram, on assiste à un côté théâtral qui frise le ridicule », s’emporte l’astrophysicien, pour qui la source du problème réside dans le système : puisque les élus métropolitains sont d’abord des maires de communes, ils ne sont pas « légitimes pour représenter l’intérêt général ». « Certains endroits ruraux ont un poids politique immense », regrette Jacques Boulesteix.
Les mécanos trinquent aussi
Effet papillon oblige, ce tohu-bohu se répercute aussi sur les agents. Les délégués syndicaux Roger Aymard (SDU 13-FSU) et Eric Rabito (CGT) regrettent ainsi que le train ait du mal à se mettre en marche. « On est tous devenus agents de la métropole, mais il n’y a pas de réflexion sur l’organisation du travail avec nos anciennes collectivités », constate le premier. Une situation ubuesque qui perdure : aucun comité technique n’a été mis en place depuis les élections syndicales métropolitaines de décembre 2016, qui ont vu la victoire de FO, pour une fois sans majorité absolue.
Il y a pourtant « urgence » selon Eric Rabito. Pour « organiser l’harmonisation des droits des agents », mais aussi à cause de conséquences concrètes. « Sans institution paritaire, on ne peut pas faire de bilan. Donc l’embauche est bloquée alors qu’on manque de personnel. Ce retard entraîne des dysfonctionnements dans le service public », fulmine le délégué syndical de la CGT. Après un échange début février avec Jean-Claude Gondard, directeur général des services et proche du maire de Marseille, l’intersyndicale espère des réponses rapides sur deux revendications : l’harmonisation des acquis sociaux vers le haut et les problématiques de mobilités. Et Eric Rabito de conclure : « On va voir si Jean-Claude Gaudin est audacieux avec ses agents. »
Tous n’ont pas eu cet espoir. La gouvernance de Gaudin et de son équipe ont déjà eu raison du directeur général adjoint, Philippe Blanquefort. Deux nouveaux DGA reprennent ses attributions : à Jean-Marc Mertz la gestion de l’eau et des déchets, à Guy Januel le budget et les finances. Plutôt cocasse quand on sait que ce dernier occupait jusqu’alors cette fonction à la communauté du Pays d’Aix, dirigée par l’inénarrable Maryse Joissains. A se demander si Gaudin n’achète pas la paix avec la plus fervente opposante à la métropole.
Marine Martin
Enquête publiée en mars 2017 dans le Ravi n°149