Education aux médias : la lutte des classes !
Pour faire face au coronavirus, même Google y va de son fonds de soutien aux médias ! En ces temps troublés, on ne sait à quel saint se vouer. Tandis que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin rêve de « nasser » les médias, sa collègue de la Culture, elle, veut mettre les bouchées doubles en matière d’éducation aux médias. Et, face aux appels à projet – nationaux, régionaux… – pas facile de trouver sa place pour la presse qui cherche à diversifier ses ressources. Voire sa classe !
Car la concurrence est rude. Pourtant, en témoigne le décret mettant en œuvre le fond de soutien aux médias d’information sociale de proximité, l’éducation aux médias fait partie de ce qui distingue les médias « pas pareils ». Sauf qu’aujourd’hui, tout le monde en fait ! D’ailleurs, quand le Ravi et ses acolytes avaient eu l’honneur de se serrer dans une petite salle pour dire leur spécificités aux Assises du journalisme à Tours, France Télévisions déployait en tête de gondole réalité virtuelle et autre gadget pour que petits et grands jouent au journaliste !
L’effet Charlie
Autre acteur de poids ? « Entre les lignes ». Une association « née il y a dix ans à… Marseille, nous révèle le directeur et l’un de ses fondateurs, Olivier Guillemain. À la base, on était deux journalistes de l’AFP et de Reuters », les deux plus grosses agences de presse, celles qui crachent la copie que les autres médias peuvent reprendre à l’envi.
« À l’époque, l’éducation aux médias, ce n’était pas un thème à la mode, poursuit Olivier Guillemain. On ne parlait pas encore de fake news, de théorie du complot. Nous, ce qu’on avait envie de partager avec les jeunes, c’était d’expliquer comment se fabrique, se construit l’information. Pour retisser un lien qui s’étiole. Et redonner le goût de l’info. » Tout est parti d’un constat : « On avait dans notre entourage des gens qui nous disaient “toi qui est journaliste, explique-nous la Syrie” ! On n’a jamais eu autant d’informations et, paradoxalement, il est de plus en plus difficile de s’informer. »
D’où l’idée d’intervenir en milieu scolaire. Mais l’explosion de la demande, poursuit celui qui s’occupait jusqu’à peu de la com’ de Science Po Lyon, c’est suite aux attentats de Charlie Hebdo : « Des gens sont morts parce qu’ils étaient journalistes. Il y a à la fois une prise de conscience des politiques et un véritable élan du côté des journalistes. Les gens avaient envie de faire quelque chose. Il y a eu un véritable élan. » C’est à ce moment que Le Monde s’est rapproché d’Entre les Lignes.
Du bénévolat subventionné
« Aujourd’hui, on est 200. Et on est tous bénévoles. C’est unique ! Rendez vous compte. On est tous fatigués, on a tous besoin de vacances. Et là, on a 200 personnes qui sont prêtes à prendre sur leur temps de vacances pour faire de l’éducation aux médias ! » Avec 5 types d’ateliers – la hiérarchie de l’info, le pluralisme, la caricature, les fake news…– l’association réalise « environ 300 interventions par an. On a énormément de demandes. Sans avoir besoin de faire de la pub. Ce qui marche, c’est le bouche à oreille », s’enorgueillit le cofondateur d’Entre les lignes.
Et ce, à des tarifs défiant toute concurrence ! « Là où les autres associations vont faire payer entre 200 et 400 euros la demi-journée, nous, un atelier, c’est 50 euros ! Parce que nos intervenants sont bénévoles et parce qu’on touche des aides publiques. Et on bénéficie de l’aide de nos médias. Une aide matérielle : clé USB, ordinateur voire véhicule à l’AFP. Quant au Monde, il accorde à chacun de ses salariés une demi-journée pour faire du bénévolat. » Ce qui n’empêche pas l’association – soutenue, entre autres, par la Fondation de France, le Fonds du 11 janvier, le ministère de l’Éducation… – de faire des appels à don. Et de diversifier ses actions : « On forme aussi les profs et les responsables des CDI pour qu’ils sachent comment s’informent les jeunes. On intervient dans des centres sociaux. Et cet été, on a participé au dispositif “vacances apprenantes”… »
Difficile pour les petites structures, dont l’éducation aux médias est l’une des ressources, et les journalistes indépendants de lutter : « J’ai déjà rencontré des pigistes qui m’ont dit que, pour eux, quand une bibliothèque leur demandait d’intervenir, il leur est impossible de ne pas être payé. C’est vrai que je connais peu de métier où il semble normal que ce ne soit pas payant… », reconnaît, un peu mal à l’aise, notre ex-confrère. Avant de se reprendre : « Nous sommes dans une logique où plus il y a d’acteurs, plus on est ravis ! Et puis, on est complémentaire ! L’éducation aux médias, c’est vaste. Nous, on ne fabrique pas de journaux et on ne cherche pas à faire des jeunes des reporters. Quand on a commencé, il n’y avait pas autant d’acteurs. Aujourd’hui, même les Gafa ont investi ce champ ! » Rassurant, non ?