Des mutuelles en convalescence
A l’heure où les fédérations nationales opèrent des regroupements stratégiques pour faire face aux coups de boutoir des assureurs, des directives européennes et de la réforme de l’Assurance maladie, « dans la région, on joue encore un peu chacun pour soi », s’inquiète Thierry Pattou, le président de la Mutualité française de Paca. Une situation due, selon lui, à la persistance des oppositions idéologiques apparues lors de l’instauration du premier ticket modérateur en 1984.
A l’époque, alors que la puissante Mutualité, dont les dirigeants sont proches du parti socialiste, accompagne la réforme, la Fédération nationale des mutuelles de travailleurs (FNMT), proche de la CGT, s’y oppose formellement. Comme elle s’y était opposée lorsque Raymond Barre avait voulu l’instituer en 1980. Accompagnée par quelques mutuelles professionnelles, elle finit par quitter sa grande s?ur et fonde la Fédération des mutuelles de France (FMF). « Cette rupture, avoue Thierry Pattou, ne s’est pas très bien passée. Elle est toujours présente à l’esprit de certains. » D’ailleurs, selon ses estimations, « la FMF concentre encore aujourd’hui 50 % des effectifs mutualistes en Paca ». Un record. Au niveau national, celle-ci ne représente qu’à peine 7 % des personnes couvertes par une mutuelle (2,5 millions sur 38).
« Depuis l’instauration du nouveau Code de la Mutualité et des Assurances, les dirigeants mutualistes n’ont pas d’autres choix que d’adopter des comportements proches de ceux des assureurs » José Caudron, économiste
Cependant, ce particularisme régional semble également fortement lié à la forme même qu’a pris le mouvement mutualiste en Provence sous l’impulsion de l’ancien président de la FNMT, puis de la FMF, Louis Calisti. Prônant une « mutualité en mouvement » qui soit plus qu’une institution chargée de la complémentarité de la Sécurité sociale, il a multiplié les expériences novatrices, parfois autogestionnaires, dans les Bouches-du-Rhône, pendant les vingt années durant lesquelles il a dirigé l’Union des mutuelles des travailleurs (aujourd’hui Mutuelles de Provence). Dès les années 60, avec le Dr Jean-François Rey, il y initie ainsi le premier réseau de santé mutualiste en instaurant une médecine en équipe, plus favorable à la prise en charge de la personne, et rémunérée à la fonction (et non à l’acte). Il pousse également à la création de mutuelles d’entreprises afin de développer une politique de prévention des accidents et maladies professionnelles et d’impliquer les usagers dans les processus de décision. Le dossier amiante, ouvert par la mutuelle des chantiers navals de La Ciotat, a été sur ce point exemplaire.
Mais si ces réalisations ont permis de renforcer les principes de solidarité et de démocratie du mutualisme (but non lucratif, chacun paie selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, égalité de tous les adhérents dans la prise de décision) en développant les possibilités de réinvestissement des bénéfices engendrés par les cotisations, ce sont justement elles qui paient les premières les frais de la mise en concurrence des assureurs et des mutuelles. « Depuis que Bruxelles a exigé que le nouveau Code de la Mutualité, instauré en 2001, impose l’étanchéité entre les activités de complémentaires et les pratiques médicales, les centres de santé sont en grande difficulté financière », s’inquiète ainsi Thierry Pattou. Pour pallier ce manque de ressources, qu’aggrave l’interdiction de pratiquer les dépassements d’honoraires hors parcours de soins que leur impose la réforme de l’assurance maladie, ils sont donc contraints de fermer certaines de leurs prestations (laboratoires d’analyse…). En Paca, les Mutuelles de Provence, qui assurent soigner 10 % de la population des Bouches-du-Rhône (dont 50 % de non mutualistes), craint même pour l’ensemble de ses structures (cliniques, pharmacies, centres de santé, dentaires…).
Avec 200 à 300 mutuelles de santé (10 % à 30 % du total national selon les données pour environ 7,5 % de la population), regroupées en union ou fédération (les Mutuelles de Provence en comptent 50 à elles seules), Paca n’occupe pas la première place. « Nous sommes en retard, juge le président régional de la Mutualité française. A terme, nous allons nous appliquer notre principe de solidarité et mettre en commun nos moyens. Nous avons tout intérêt à proposer une meilleure lisibilité et à disposer de centrales d’achat. Au niveau national, si tous les magasins d’optique mutualistes étaient regroupés, nous disposerions d’un réseau plus important que celui d’Afflelou ! » Enseigne unique, fusions… Ce discours pourrait surprendre de la part d’un mutualiste. José Caudron, économiste spécialiste de la protection sociale, le trouve pourtant tout à fait naturel. « Depuis l’instauration du nouveau Code de la Mutualité et des Assurances, les dirigeants mutualistes n’ont pas d’autres choix que d’adopter des comportements proches de ceux des assureurs, explique-t-il. Mais ils ne seront pas les fossoyeurs du système, ils savent que les Français sont très attachés à l’éthique, à l’esprit et à l’égalitarisme des mutuelles. » Une analyse que confirme Thierry Pattou : « Elles ont compris qu’elles perdraient beaucoup si elles suivaient les assureurs. »
Mais avec la fin programmée des centres de santé, la concentration à venir des mutuelles et une réforme, à laquelle elles ont beaucoup contribuées, qui impose ouvertement une médecine à plusieurs vitesses (et pas seulement deux !), que reste-t-il réellement de l’âme mutualiste ? Son fonctionnement supposé plus démocratique ? Peut-être pas seulement. Certains groupements de personnes proposent des réassurances, avec un retour aux cotisations selon les moyens, pour permettre à ceux qui dépassent le seuil de la CMU ou n’en ont pas les moyens, de disposer d’une complémentaire. Mais pour l’instant, ce système ressemble un peu à l’agriculture biologique à ses débuts : cher et confidentiel.
Jean-François Poupelin