Moi, Jean-Marc Morandini, de la TV à la poubelle
« J’ai été plus souvent trahi qu’aimé… et j’en ai pris… plein la gueule ! » (1). Je ne sais pas si j’ai eu une bonne idée de venir à Marseille pour me remonter le moral. Vous savez, je suis un grand sentimental en réalité. Ça me rend tout nostalgique de retrouver ma ville. Ne prenez pas cet air ahuri : vous semblez presque aussi con qu’un journaliste d’I-Télé démissionnant après 31 jours de grève sans avoir rien obtenu… Et, oui, je suis né et j’ai grandi à Marseille ! « Quand je suis arrivé à La Cinq, à Paris, à 22 ans, mon rédacteur en chef me faisait refaire mes sujets chaque fois qu’il y avait une pointe d’accent. À deux minutes du journal, ça me rendait fou ! En six mois, j’ai perdu définitivement mon accent marseillais ! » (2)
J’ai fait mes études ici. Pas Normale Sup, c’est vraiment pas le genre de la maison. J’ai passé un BTS commercial, c’est là que j’ai appris à vendre de la soupe et des salades. Ma mère, une brave femme mariée à un Corse, m’a même inscrit à l’école de journalisme de Marseille. Scoop : j’ai mon diplôme, et c’est pas de l’intox ! En ce moment, ils ne vont pas m’inviter à faire une conférence à l’EJCAM : ils préfèrent diffuser en boucle BFM TV dans les couloirs pour vacciner leurs étudiants contre tout sens critique. Les pauvres choux ! Si Bolloré ne les embauche pas en fin d’étude, je veux bien leur proposer un rôle dans une web série. Mais faudra passer un casting à poil… Hé, ne zappez pas ! #humour ! J’ai encore droit de rire, bordel ?
On peut me priver d’antenne mais pas de ma liberté de penser ! Je cite Florent Pagny, ça vous débecte ? Je suis un warrior. J’ai fait mon service militaire au Sirpa, le service d’information et de relation publique des armées. Tous les journaleux devraient passer par là, ça dessille. « Dans une démocratie, il est important que les Français fassent confiance à leur presse. Alors peut-être faut-il arrêter de vouloir jouer à Madame Soleil. Mais les journalistes, c’est vrai, n’aiment pas se remettre en cause, n’aiment pas être critiqués. » (3) Mon principe est très simple : ne jamais emmerder mon employeur, féroce avec les loosers, tendre avec les winners. Et ceux qui me payent – en 2016 en cumulant mes cachets sur Europe 1 et sur NRJ 12, je palpais 19 000 euros par mois (4) – ce sont la fine fleur médiatique : Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère…
« Dans les pays nordiques, les gens sont nus dans un hammam, un sauna, il n’y a pas de tabou »
J’en vois qui bandent quand je parle de fric ! Mes cochons, en plus de mon salaire, c’est juste des cacahouètes, de l’argent de poche. Pensez, pour ne donner qu’un exemple, que Bolloré, en 2011, m’a versé 780 000 euros en m’achetant 51 % des parts de jeanmarcmorandini.com ! Et qu’une une petite enveloppe complémentaire de 955 000 euros a suivi, toujours pour bibi… Je vous passe les détails des transactions et vous épargne les centimes (5). Alors les Smicards, on a les boules ? Je ne comprends pas ceux qui s’étonnent lorsque j’explique ma conception de l’investigation : « Quand j’ai une info sur Lagardère et Bolloré, je demande l’autorisation avant de la sortir » (6)
J’en ai fait du chemin depuis que je bossais au Méridional ! #Préhistoire : C’était un des quotidiens marseillais, l’ancêtre de La Provence, bien ancré à la droite de la droite mais tenu d’une main de fer par son propriétaire, Defferre, le maire socialiste. Ah ce Gaston et son Edmonde, une sacrée chaudasse celle-là ! #humour. Ne zappez pas ! Je me sens chez moi à Marseille avec toutes ces poubelles qui débordent. J’ai crevé l’écran à la fin des années 90 en débordant moi-aussi, en faisant le méga buzz : je suis devenu l’animateur de Tout est possible sur TF1, le king indétrônable de la télé-poubelle. Lancer de nains, curés transsexuels, bimbos refaites de A à Z, j’ai pulvérisé pendant quatre ans l’audience. J’en ai fait tellement des tonnes qu’ils ont fini par me virer, les hypocrites. La descente a été rude. « À l’époque, la télé, c’était ma vie. J’en ai pris plein la gueule, j’étais au fond du trou. » (7) Mais j’ai vite rebondi, je vous rassure, grâce à la radio et surtout, au monde merveilleux du web. Je m’y suis autoproclamé spécialiste télé-people puis carrément expert ès actualité des médias !
Mais bon, je sens que je vous perds. Ne zappez pas ! Je sais que si vous m’écoutez depuis le début, c’est surtout pour humer le parfum du scandale. Bandes de voyeurs ! « J’avais pensé qu’après le déferlement de haine, d’insultes et d’insinuations pourries, les choses allaient se calmer. » (8) Mais non, c’était fatal. Le trash m’a fait roi, le trash me perdra. Laurent Gerra, ce comique distingué, m’avait déjà crucifié en me traitant de « fosse septique d’Europe 1 » puisque j’y « ramasse toutes les merdes » (9). Vous voyez le niveau. En fait, il était seulement jaloux de mes audiences. Mais là c’est plus sérieux. Je me traine des enquêtes pour « corruption de mineurs », « harcèlement sexuel et travail dissimulé ».
Mes avocats ont réussi, en janvier, à faire classer sans suite une affaire sur des castings pour une série érotique en ligne où j’aurais abusé de ma position de producteur. Mais les plaintes se multiplient… Ne zappez pas ! Cliquez sur jeanmarcmorandini.com pour lire tous les détails. Non, je n’ai jamais incité une tripotée de jeunes acteurs à poser nu, à se masturber, à me faire des fellations. Et puis c’est quoi ces airs indignés ? « Dans les pays nordiques, les gens sont nus dans un hammam, un sauna, il n’y a pas de tabou » (10) Je n’ai d’ailleurs jamais proposé de relations sexuelles à un mineur, « ou alors sous forme de plaisanterie (…) car on est dans un univers de télé-réalité, où on parle facilement de sexualité » (11)
Ras le bol ! « Que signifie la présomption d’innocence, que chacun estime respecter, si je ne peux exercer mon métier avant la fin d’une procédure pénale ? » (12) Ils étaient des saints tous les journalistes pleurnichards d’I-Télé ? Ils n’étaient pourtant pas vraiment connus pour leur impertinence et leur déontologie, ceux qui ont réclamé, en vain, ma tête à Bolloré en refusant que leur nouveau patron programme mon émission ? Mince, je commence à parler éthique avec des mots compliqués. Ne zappez pas !
Portrait satirique publié dans le Ravi n°148, daté février 2017