Quartiers : on n’est pas populaires sans raison !
C’est l’histoire d’un braquage vraiment pas pareil ! Chômeur et habitant du Val Fourré, Khalifa Camara décide de piquer au bien nommé Jacques Adie sa mairie de Mantes-la-Jolie et les 250 millions d’euros de budget de sa communauté d’agglo. Le calcul est simple : avec sa bande de potes, il leur suffit de mobiliser les 20 000 habitants du quartier pour l’emporter. Et grâce aux mêmes armes que leur adversaire (financement douteux, démagogie, etc.), « Ils l’ont fait ! », pour rependre le titre de ce film réalisé entre 2013 et 2015 par des habitants de la cité des Yvelines (1).
Projeté le 14 décembre en début de soirée au centre social l’Agora à la Busserine, cette joyeuse caricature et satire de la vie politique n’a pas autant mobilisé les habitants de cette cité du 14ème arrondissement de Marseille que Khalifa au Val Fourré. Rien de très étonnant. Depuis 2007, comme dans tous les quartiers populaires, l’abstention y a explosé. Les principales raisons : une faible intégration sociale des habitants (jeunes moins diplômés, précarité plus grande, etc.), un fort scepticisme sur la capacité du vote et des politiques à améliorer leur vie ou encore la fin de la présence de dispositifs de mobilisation militants.
Arme de destruction massive
A cette abstention massive s’additionne la non-inscription sur les listes électorales. 25 à 30 % des personnes en âge de voter des quartiers populaires, contre 7 % au niveau national. Résultat, aux régionales de 2015 l’abstention a dépassé les 50 % à la Busserine. Au Neuhof, un territoire QPV (2) de Strasbourg, elle a même atteint 80 % selon Farid Rhamani, chef de projets au centre social et culturel de cette cité de 20 000 habitants. « Pourtant, beaucoup ont assez de conscience politique pour agir dans la cité et font preuve d’une vraie citoyenneté », tempère le travailleur social. Avant de regretter : « Mais sans faire le lien avec le vote… »
Entre les deux tours des régionales, il s’est donc lancé avec des ados dans la fabrication d’un court métrage pour inciter les adultes à aller voter. « La vidéo a fait un buzz et la participation a grimpé de 10 points », se réjouit encore Farid Rhamani. Afin de ne pas laisser retomber la dynamique à l’approche de la présidentielle, il a lancé avec le service jeunesse de son centre social un « Challenge citoyen ». Un concours national qui a pour but d’inciter les habitants des quartiers populaires à s’inscrire sur les listes électorales, à s’intéresser à la politique et à aller voter en 2017. « Par des procédés légaux », précise à tout hasard le site dédié au challenge (3).
Remobiliser les habitants
Présent dans treize villes en France, le même challenge a été lancé à Marseille, seule ville de Paca, par le Collectif Jeunes de la Busserine. Logique : en 2014, le septième secteur de Marseille, qui regroupe les 13ème et 14ème arrondissements de la seconde ville de France, a basculé du PS au FN dans une triangulaire marquée par une forte abstention. En 2017, la circonscription pourrait elle aussi basculer à l’extrême droite. Sa députée actuelle (ex-PS), Sylvie Andrieux, vient d’être définitivement condamnée pour « détournement de fonds publics » dans l’affaire des subventions fictives du Conseil régional. Et c’est pourtant elle qui a imposé la candidate, Anne di Marino, que le PS présentera aux législatives. Face à cette dernière, le LR Richard Miron et le FN se frottent les mains. « Ici, les nombreux problèmes quotidiens priment, explique Djamila Mostefa, présidente de l’association des parents d’élèves de l’école du quartier. Il faut se battre pour tout et rien. »
Le constat et la menace FN valent aussi à Nice, à l’autre bout de la région. « La désaffection est monstrueuse, se désole l’ancien conseiller municipal PCF Robert Injey. A l’Ariane [quartier populaire de la ville, Ndlr], sur 5 000 inscrits il a manqué 1 300 électeurs à la gauche entre les départementales de 2015 et la présidentielle de 2012, alors que le FN a de son côté gardé 90 % de son électorat. » Et le communiste d’insister : « Les habitants des quartiers populaires n’ont pas l’impression d’être écoutés, de compter. Si voter ne change pas votre quotidien, il n’y a aucune raison de se déplacer. »
A sa modeste échelle, le Ravi a décidé de changer un peu la donne : dans le cadre d’un nouveau projet de journalisme participatif, le mensuel d’enquête et de satire de Paca va tenir, en coproduction avec des médias locaux et dès ce numéro, une chronique mensuelle de la campagne de la présidentielle et des législatives vue de et par les habitants de quartiers populaires de la Région. Afin de porter la parole des sans voix, mais aussi pour mettre en lumière leur expertise citoyenne.
Un bien nécessaire pour éviter de parler à la place des premiers concernés. Et pour que ces territoires relégués deviennent vraiment populaires !
Jean-François Poupelin
1. www.ils-lont-fait.com
2. Quartier prioritaire de la politique de la ville.
3. www.challengecitoyen.fr