Ces merveilleux fous votants et leur drôle de machines
« Le meilleur est à venir » : c’est le nom de la liste avec laquelle le maire de Marignane, le très à droite Éric Le Dissès, s’est fait réélire. Une référence au standard de jazz ? Pas sûr. Car, électoralement parlant, Marignane est plutôt « electro » : c’est la seule ville du « 13 » – et une des rares en France – à avoir des machines à voter. Des engins dont l’usage est suffisamment polémique pour qu’un moratoire ait été mis en place en 2008 : les villes déjà équipées peuvent continuer à les utiliser mais interdiction à toute nouvelle commune d’en acquérir !
À en croire bien des vidéos sur le web, les pirater serait un jeu d’enfants ! En 2014 déjà à Marignane, un candidat les avait, dans son recours, pointé du doigt, estimant qu’elles n’étaient pas « sécurisées ». En vain. Elles se sont à nouveau invitées dans le débat. Avec, à l’origine d’un recours, Adrien Aléo, le candidat d’extrême droite d’une liste d’« union citoyenne » (soutenue par le Rassemblement national, la Droite populaire…) qui, avec un millier de voix, en a 4000 de moins que le maire sortant.
Cadenas versus huissiers
Fin décembre, il interroge la société France Élection qui gère les machines de Marignane. Le directeur Hervé Palisson lui répond : « Nous sommes intervenus pour effectuer une inspection et un entretien le 19 décembre. Cela nous a donné l’occasion de vérifier que les machines sont toutes intègres et opérationnelles. » Aléo tique en notant que, ce jour-là, il n’y a « aucun candidat aux municipales, ni représentant ni huissier ».
Dans le sillage de la pétition « Sécuriser les machines » (350 signatures), il revient à la charge en proposant que chaque candidat pose « un cadenas sur la porte du local » où elles sont stockées et demande une nouvelle « vérification par un technicien agréé en notre présence ». La mairie lui répond qu’« aucune anomalie n’a été détectée » et l’invite le « 12 mars » à la « mise sous scellé des machines », en présence d’un « huissier » qui, au passage, « posera un scellé numéroté sur la porte du local de stockage ».
Mais, le 9 mars, un de ses colistiers, en se rendant au service « élections » pour déposer la liste des suppléants et assesseurs dit avoir vu « plusieurs machines à voter entièrement ouvertes, scellés enlevés ». Alerté, un sympathisant se rend sur place et aurait constaté, comme le précise le recours, que « les scellés ont été enlevés, les machines ouvertes, avec visibilité de l’ensemble des composants intérieurs ». Pour appuyer ses dires, le candidat produit plusieurs photos et porte plainte au commissariat (le procureur la classera sans suite).
Autres points litigieux ? D’après la circulaire du ministère de l’Intérieur sur l’« utilisation des machines à voter», « le bon déroulement des opérations électorales impose de ne pas excéder le nombre de 800 à 1000 électeurs inscrits par bureau ». Or, dans 4 bureaux sur 25, cette règle n’est pas respectée. Et Aléo de pointer les résultats dans certains d’entre eux. Notamment celui de « son » quartier : « Je n’aurais obtenu que 60 voix. Alors qu’un nombre de citoyens supérieur à 60, abandonnant ainsi leur droit à la confidentialité de leur vote, sont prêts à témoigner sous serment qu’ils ont voté pour moi. »
Fantômas et les scellés
Hervé Palisson, de France Élection, se veut rassurant : « Sur les machines, il y a deux sortes de scellés. Des scellés permanents, métalliques, qui empêchent l’accès au mécanisme de la machine. Et d’autres temporaires, en plastique, qui sont mis sur la machine avant chaque scrutin. À mon avis, le 9 mars, les personnes du “service élection” ont vérifié les machines et rentré les informations relatives à l’élection. La date du scrutin, le nom des candidats… Une opération qui peut prendre du temps. Si elles l’avaient fait le 12, cela aurait pu bloquer les candidats toute la journée ! » Avant d’ajouter : « Je n’étais pas au courant du recours. Mais je ne suis pas surpris. C’est facile de taper sur une machine. Ou de se dire, en voyant des scellés brisés ou un tournevis, que Fantômas est passé par là… »
Même son de cloche pour Véronique Tardy, l’une des adjointes d’Éric Le Dissès : « Ce n’est pas la première fois qu’on doit faire face à un recours. Mais le 9 mars, ce qui s’est passé, c’est que les gens du service “élections” ont préparé les machines en installant sous le plexiglas la liste des candidats. Voilà pourquoi les agents ont utilisé un tournevis et retiré les scellés en plastique bleu apposés par France Élection à l’issue de sa vérification en décembre. »
Et quand on lui demande pourquoi, vu la suspicion qui règne, les autres candidats n’ont pas été invités à ce moment-là, elle rétorque : « Parce que la loi ne le prévoit pas ! En revanche, ils ont pu assister le 12 mars, en présence d’un huissier, à la pose des scellés jaunes qui, eux, ne sont retirés que le matin des élections. M. Aléo a pu tester lui-même une machine pris au hasard pour voir qu’elle fonctionnait. »
Élue à l’environnement, Véronique Tardy est très « techno » : « Cela fait moins de papier. Et moins de manipulation, ce qui n’est pas anodin avec le Covid. C’est facile de faire croire qu’on peut les bidouiller alors que ces machines ne sont même pas connectées ! Elles sont parfaitement fiables. Et puis, il faut bien les amortir. Chacune coûte environ 10 000 euros. Sans compter la maintenance. » Avec deux tiers d’abstention et une participation souvent inférieure à la moyenne à Marignane, il va en falloir des scrutins !