« Même un prix Nobel peut dire de grosses conneries »
Le doute est partout. N’est-ce pas finalement l’avènement de la zététique ?
Vous n’êtes pas le premier à me le dire… La démarche scientifique est utile mais elle n’est pas facile a priori, il y a du travail derrière. Quelquefois les gens l’oublient, on va lire un bouquin sur la zététique et hop, on peut adopter une démarche scientifique. Ce n’est pas tout à fait ça. C’est comme des recettes de cuisine, il y a le coup de main, l’expérience… Elle se transforme et devient l’expertise. Ce qu’on voit aujourd’hui s’apparente plutôt à du scepticisme, au sens actuel, où tout est rejeté. En gros, c’est la théorie du complot. Un scepticisme forcément négatif qui n’a plus rien à voir avec celui de quelques Grecs anciens où la méthode scientifique était appliquée même si elle n’était pas encore complètement formalisée. À l’heure actuelle, et surtout avec le Covid, ça part dans tous les sens. Cela pose problème au niveau du public mais aussi de scientifiques qui n’ont pas vraiment eu d’attitude raisonnable. Car quand un scientifique fait une déclaration, le public va penser que « la science dit que » alors que non, la science ce n’est pas un ou des scientifiques, il faut qu’un consensus soit formé etc.
« La vérité scientifique ne se décrète pas à l’applaudimètre »
Quel regard posez-vous sur la perte de confiance envers la science en cette période de Covid ?
Ça l’a boostée. En tout cas cela a bien fait monter la mayonnaise. Des théories complotistes, il y en a toujours eu. Là, on a vu des gens à la télévision présentés comme des scientifiques – ou en étant réellement – se battre comme des chiffonniers. Le problème c’est que la science a perdu en crédibilité. C’est dur à faire comprendre mais un scientifique, même un prix Nobel, peut dire de grosses conneries. Il y a aussi le fait que certains se sont mis à prôner la “participation citoyenne”. C’est bien gentil… Condorcet disait déjà au XVIIIème siècle : « Pas de démocratie du pouvoir sans savoir. » D’accord, mais il faut que le savoir soit vraiment diffusé. Là, on confond savoir et opinion ou même croyance. Quand un citoyen donne un avis, c’est sa perception. La preuve en science n’est ni une opinion ni une intuition ou un témoignage. Malheureusement, on donne à chaque avis le même poids et c’est une absurdité, cela n’a pas du tout la même valeur qu’un expert dans son domaine. Un de mes collègues fait un parallèle : si on monte dans un avion, on ne va pas faire un sondage parmi les passagers pour savoir qui va piloter. On accepte qu’il y ait un expert, un pilote qui soit dans le cockpit. C’est une démocratie bizarre, la participation citoyenne risque d’amener ce que le zététicien Gérald Bronner appelait « la démocratie des crédules ». Cela a été rappelé par l’Académie de médecine : la vérité scientifique ne se décrète pas à l’applaudimètre.
Comment la zététique peut influencer cette tendance ?
Ce n’est pas la zététique qui peut quelque chose mais ses représentants qui parlent en son nom. Et il n’y a pas foule même si plein s’en réclament. Dans la zététique, on met souvent un point d’interrogation, j’insiste là-dessus. Il n’est pas une marque d’ignorance, c’est une marque de sagesse. Suspendre son jugement quand on manque d’informations est un des principes de base de la zététique. Et à l’heure actuelle, il y a non seulement carence d’information mais aussi des cas où l’information est là mais mal traitée. C’est-à-dire qu’on informe les gens mais de manière délétère, insuffisamment objective du moins. Cela ne sert à rien d’avoir beaucoup d’information si elle n’est pas propre, correcte. Et l’esprit critique va alors fonctionner à vide. La certitude de connaître est le plus grand ennemi de la connaissance. Il faut douter, mais c’est vrai que ce n’est pas toujours évident. J’ai une devise : le droit au rêve mais avec le devoir de vigilance.
Propos recueillis par Clément Chassot