« Les rois de la bidouille, on les connait ! »
16h55
C’est l’heure des bouchons à Pertuis (84), commune de 20 000 habitants postée au pied du massif du Luberon. La ville d’un des deux candidats socialistes à l’investiture pour les législatives, Jérôme Narbonne.
17h17
Au fond d’un coupe-gorge, dans une petite salle municipale, le bureau de vote. Quatre militants sont là ce 8 décembre 2016 : la présidente du bureau de vote, Evelyne ; ses deux assesseurs, Valérie (représentante de Jean-François Lovisolo) et Benoît ; et un militant de longue date, Michel. Un bureau, une feuille d’émargement et une vieille boîte de chaussures pour l’urne. Pas d’isoloir : les militants doivent, juste derrière, cocher le candidat de leur choix avant de plier le bulletin pour voter. Et pour ce faire présenter leur carte d’adhérent au PS et leur carte électorale, afin de vérifier qu’ils habitent bien dans les contours de la circonscription. « On pourrait investir dans une boîte à chaussures », rigole Michel. Les assesseurs doivent, obligation du national, tenir la permanence de 17 à 22 heures. Pour le moment, 3 votants sur 55 ont pointé le bout de leur nez. La soirée risque d’être longue.
17h34
Michel, justement, « l’un des plus vieux de la section », sort du bureau de vote. Triptyque béret, lunettes, moustache, prof d’espagnol à la retraite, le choix de ce soir lui « arrache le cœur » : « Ce sont deux amis, une bataille entre deux générations. » Il ne lâchera pas le morceau. Se revendiquant toujours comme Hollandais, il votera probablement Valls à la primaire mais sa priorité c’est avoir un député de gauche. La 5ème circonscription de Vaucluse est en effet la plus « prenable » (la seule ?) dans le département. Mais pour cela il faudra une triangulaire et donc se qualifier au second tour. Pas gagné.
17h54
Selon les militants pertuisiens, le score risque d’être serré. « Mais il n’y a pas vraiment eu de campagne, nous avons reçu les professions de foi il y a trois jours, regrette Valérie. Et puis il y a eu une seule réunion de présentation des candidats, à Saint-Saturnin-lès-Apt, à plus d’une heure d’ici… » Mais mis à part le profil – l’un, Jérôme Narbonne, jeune et déjà techno et l’autre, Jean-François Lovisolo, plus expérimenté mais symbole d’un système usé – rien ne différencie grandement les deux prétendants. Ils se connaissent bien : Jérôme Narbonne était en 2012 le directeur de campagne de son concurrent…
18h00
Un papy aux gros sourcils blancs demande s’il a le droit de voter. Les militants doivent être à jour de leur cotisation : « Il faut que tu me donnes de l’argent », crie Evelyne devant une surdité avancée. Papy rentre chez lui.
18h04
On parle lois de décentralisation et baisse d’allocations de l’Etat pour les communes. « Je connais un maire qui a pris le tractopelle pour changer les leds de l’éclairage public, ben il a gagné 6000 ou 7000 euros. » L’avenir : des maires employés municipaux.
18h25
Miracle ! Deux jeunes, la trentaine, font leur apparition. Ils votent aussi vite qu’ils sont apparus.
18h30
Il est l’heure d’aller faire un tour dans une autre section, à 10 minutes de voiture. C’est celle de la Tour d’Aigues (4 000 habitants environ), le fief du maire Jean-François Lovisolo. Le temps d’un « pit stop » au troquet du coin histoire de souffler. Accent provençal et pastis garantis.
19h00
Le bureau de vote est plus grand, une vraie urne et un vrai isoloir trônent. Le luxe. Avec ici Marie-Claire comme présidente, Raymonde et Christian comme assesseurs. Et un représentant de Jérôme Narbonne, Jean-Pierre, chargé du bon déroulement du vote. On sent poindre un poil de tension entre les deux « camps ». Notamment sur la carte électorale : un militant qui ne l’avait pas a pu voter sans. Pour la même raison, une jeune femme enceinte se fait refouler : « Non madame, les assesseurs en veulent pas », lui dit avec une pointe d’ironie la présidente. Scud de Jean-Pierre : « C’est la commission électorale qui l’exige ! Jean-Pierre, tu es bien placé, tu en fais partie. »
19h30
« A voté ! » Deux quadragénaires s’en vont. Ils sont militants socialistes depuis 2012 et proches de Jean-François Lovisolo. « C’est vrai que c’est un peu dur d’être socialiste en ce moment, confie Pierre. Mais finalement, on ne s’intéresse pas trop à la politique. Nous avons des convictions pour la personne. »
19h39
On parle candidats. « Nous avons besoin d’un candidat expérimenté, qui connaît bien le territoire, les élus etc. », explique Christian. En gros, Lovisolo. « J’aurais pu dire exactement la même chose », tance le soutien de Narbonne.
19h56
Marie-Claire recalcule à chaque vote la participation grâce à son smartphone. « 68 % ! A combien ils étaient à Pertuis ? » Ici, un mort est encore sur la liste. Il ne votera pas.
19h59
Marie-Claire se plaint aussi de devoir rester là jusqu’à 22 heures et attend avec impatience les pizzas. Et un vote par Internet, ce n’était pas envisageable ? « Manquerait plus que ça !, s’esclaffe-t-elle. Les rois de la bidouille, on les connaît ! » Ah bon ? Des noms ! Au final, Jean-François Lovisolo fera chez lui un score de dictateur : 100 % des voix sur 56 votants. Paraît que les mauvaises langues le nomment désormais « Stalinsolo ». Ambiance.
20h40
Retour à Pertuis. Une douzaine de personnes attendent le dépouillement, l’apéro est prêt. Fabien Perez, secrétaire de section et premier opposant au maire est arrivé. Très élégant, comme l’avocat qu’il est, associé au cabinet de Michel Pezet, ancien homme fort du PS local. Il loue un candidat « du renouvellement avec une nouvelle approche. »
21h21
Jérôme Narbonne arrive, avec le style d’un trentenaire assez classique. Une bise à chacun, grand sourire aux lèvres. Petite cigarette dehors, les langues se délient un peu. « Je pense que sa candidature est une vengeance de 2012. Et je ne crois pas qu’on puisse gagner là-dessus. Maintenant le score devrait être serré mais ça va être difficile tout de même », consent-il. C’est qu’en sous-main, Lovisolo tient toujours la fédération… « Et c’est aussi ça le sens de ma candidature : faire bouger les choses à la fédé. » Il demande entre temps si tel ou tel soutien s’est présenté ce soir.
22h00
Enfin. Silence religieux pendant le compte des votes. Evelyne s’humecte les doigts pour ne pas oublier de bulletin. Résultat : 28 voix pour Narbonne, 13 pour Lovisolo. Un bon score pour ce dernier, le local de l’étape est « un peu déçu ». Au final il perdra avec presque 40 % des voix. Peut-être un cadeau empoisonné pour Lovisolo : 2017 sera vraisemblablement une année noire pour le parti à la rose.
Clément Chassot
Les dessins sont signés Trax. En début d’article : Jean-François Lovisolo. Ci-dessous : Jérôme Narbonne.
Article publié dans le Ravi n°147, daté janvier 2017