Face à l’extrême droite : ne pas être chocolat !
Lors de ses vœux de nouvelle année aux allures de meeting, le 11 janvier dans la salle de concert du Dôme, Stéphane Ravier, le sénateur-maire FN des 13ème et 14ème arrondissements de Marseille, avant d’entonner a capela du Johnny, s’est une fois de plus insurgé avec virulence contre les enseignants de son secteur : « Nous avons offert une boite de chocolats aux directeurs d’écoles. Ils étaient chargés de les partager avec les enseignants et le personnel municipal. Quelques chefs d’établissement, qui se comptent sur les phalanges d’un doigt, ont répondu à l’appel idéologique, extrémiste, d’un syndicat qu’il est inutile de nommer. De toute façon personne ne le connaît ! Ces quelques directeurs, plutôt que de partager ces chocolats avec le personnel enseignant et avec les agents de la mairie, ont préféré les remettre à des migrants. Quand l’idéologie prend le dessus à ce point là, à part la camisole, je ne vois pas ce qu’on peut faire. Madame d’Angio (nièce de Stéphane Ravier, première adjointe et déléguée à l’éducation, ndlr) est chargée de ramener des boites de chocolats au personnel dans ces écoles, je donnerai sur mon stock. »
Ravier en boite Loin d’être dissuadées par les propos du sénateur-maire d’extrême droite, deux enseignantes représentantes du SNUipp-FSU (le principal syndicat national des enseignants du premier degré, ndlr) se sont rendues, le 16 janvier à midi, dans la cantine du centre Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes) de Saint Jérôme afin de distribuer les chocolats à la dizaine de demandeurs d’asile présents. « Cela n’a pas été préparé comme une cérémonie, déclare l’une des professeurs, souhaitant rester anonyme pour mieux respecter une démarche avant tout collective. Chaque boite représente toute une école, les enseignants et les employés municipaux, donc une dizaine de personnes au moins. Nous ne voulions pas les accepter, c’était l’occasion de manifester notre soutien à ces migrants, de dire qu’ils sont les bienvenus. En tant qu’enseignants de l’école de la République, c’est un acte symbolique. L’école accueille tous les enfants, sans discrimination, que les parents aient des papiers ou non. » Un geste qui fait écho et qui s’oppose aux dernières déclarations, courant décembre, de Marine Le Pen : « Je n’ai rien contre les étrangers, mais je leur dis : “Si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à ce que vous soyez pris en charge, à être soignés, que vos enfants soient éduqués gratuitement, maintenant c’est terminé, c’est la fin de la récréation!” »
Un projet politique contre lequel Sébastien Fournier, responsable de la section syndicale du SNUipp-FSU, s’insurge : « Cela contrevient à notre vision de l’école publique et de la société. Le droit à l’éducation est imprescriptible. Nous revendiquons que l’école publique puisse accueillir tout le monde. Elle représente l’égalité des chances, pour la vie personnelle et professionnelle. A l’inverse, Ravier a dit qu’il refusait de voter des subventions aux centres sociaux, car “la médiation sociale, c’est la collaboration avec des crapules” (conseil municipal du 25 juin 2014, ndlr), y compris pour le soutien scolaire. » Et le syndicaliste de rappeler sa détermination malgré la progression des idées de l’extrême droite et de la droite extrême : « La position de la mairie de secteur nous reste en travers de la gorge. Tout comme la motion au Conseil régional (adoptée à l’unanimité moins une abstention, ndlr) par le FN et LR contre l’accueil des migrants. Notre geste est d’abord et avant tout un acte de solidarité, d’accueil, de main tendue. La réaction du maire est surprenante par sa violence. Pourtant, cette attitude deviendrait presque ordinaire, après nous avoir qualifiés de “ métastases rouges” il y a un an et demi. Qu’un tel acte déclenche une telle colère interroge sur le rapport à la démocratie : penser différemment de lui vaut-il une camisole ? »
Appel à la mobilisation Pour vivre avec la différence, l’institutrice a une solution : « Ce moment passé avec les migrants à discuter était très fort, aussi bien pour eux que pour nous. Cela donne envie de continuer, de s’engager plus. Lorsque je les ai remerciés de nous accueillir ici, ils ont eu des regards amusés et touchés. Au début ils étaient dans l’expectative, puis ils se sont détendus. Ils nous ont remerciés chaleureusement. Ceux qui sont contre leur venue, s’ils vivaient des moments comme çà, cela les humaniserait et leur ferait du bien, ils reviendraient sur leurs idées préconçues. » Un point de vue partagé par Aziz El Ghaba, animateur socio-éducatif en charge de l’accueil des demandeurs d’asile dans le centre Afpa de Saint Jérôme : « Depuis qu’ils sont arrivés, il y a une meilleure cohésion dans les équipes de travail, plus de communication. Tous les jours, des cours de français sont organisés bénévolement. On a même monté une conférence sur les avantages du modèle social français. Il faudrait un demandeur d’asile dans chaque centre ! Les gens du quartier sont très gentils, très respectueux. Par exemple, des vêtements ont été amenés spontanément. »
Mahir et Kalid (les prénoms ont été changés, ndlr), deux Soudanais hébergés dans le centre, témoignent : « Merci pour tout ! Beaucoup de gens connaissent nos problèmes, sont avec nous et nous protègent. Pourtant ils ne sont pas assez nombreux à s’y intéresser. » Mais l’objet principal de leurs pensées, et de leur préoccupation, reste l’avancement de leur demande d’asile. Sur 14 personnes accueillies au CAO, seulement 3 ne sont pas en procédure « Dublin ». Ce système européen oblige les migrants à demander l’asile dans le premier pays où ils sont arrivés, en l’occurrence l’Italie, comme pour la majorité d’entre eux. Mais les Etats peuvent passer outre cette obligation en accordant malgré tout le droit d’asile. « A Calais on nous a promis que la procédure Dublin ne serait pas appliquée, de la bouche même du directeur de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr). Cela se fait ailleurs, mais à Marseille on a le sentiment que c’est plus difficile… »
Migrants, enseignants et de nombreux autres soutiens, tous devraient se retrouver pour une mobilisation devant la préfecture de Marseille, ce lundi 30 janvier à 12h30, à l’appel de résidents des CAO et avec le soutien, entre autre, du collectif El Manba – Soutien MigrantEs 13. Son principal objectif ? Obtenir du préfet, comme cela a été le cas dans d’autres régions, la suspension de la fameuse procédure « Dublin ». Et prémunir ainsi les migrants et réfugiés de futures expulsions…
Thomas Desset
Le dessin illustrant cet article, signé Charmag, a été initialement publié dans le « clin d’œil du Ravi » sur Marsactu le week-end du 5 novembre 2016 où le sénateur-maire FN de Marseille avait appelé ses électeurs à manifester contre les migrants devant la préfecture à Marseille. In fine, une manifestation pro-migrants organisée même jour même heure, avait réuni deux fois plus de participants…