Moi, Yves Rousset, préfet à l’inégalité des chances
Jeudi 18 août 2016, préfecture de Marseille. Une tasse de café à portée de main et les pieds sur le bureau de l’austère préfet Boillon, son patron qui est encore en vacances, Yves Rousset est radieux. Le Parisien en main, le préfet délégué à l’égalité des chances du « 13 » jubile. Le quotidien francilien revient sur le grand incendie qui a ravagé plus de 3000 hectares au nord de Marseille la semaine précédente. Il y est la vedette. Hasard des tours de garde estivaux de la préfecture, c’est lui qui avait les clés de la baraque au bon moment et par la même occasion le privilège de passer en boucle sur BFM TV et RMC. Mais son visage s’assombrit rapidement, le retour au quotidien le mine.
Sûr que les associations vont encore me tomber dessus. Mais on est plus sous Jospin ! C’est le franquiste Valls qui est premier ministre ! Alors oui, malgré ma promesse de ne pas les embêter et l’attaque avant-hier d’un camp de Roms de 150 personnes à coups de cocktails Molotov et de fusils (1), j’ai autorisé l’expulsion de onze autres familles Roms de leur squat marseillais ce matin, dont des enfants sont scolarisés et des adultes en formation ou en emploi. Un exemple d’intégration qui se finit façon puzzle. Faut me comprendre, « évacuer le camp après la rentrée aurait brisé [le] parcours scolaire [des enfants] et ne pas attaquer impliquait que le propriétaire se retourne contre la préfecture » (2). C’est faux-cul ? J’ai simplement appliqué un principe de précaution : tout faire pour que la droite et le FN ne taxe pas le gouvernement de laxisme…
Et puis, pour être honnête, moi les Roms et les pauvres je les ai surtout connus à la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse. J’y ai été éducateur après avoir beaucoup erré professionnellement, de démolisseur de maison à mannequin, comme j’aime à le raconter (3). Pas très longtemps quand même : j’ai vite abandonné le terrain pour basculer vers le syndicalisme professionnel, à la CFDT. Un parcours exemplaire – secrétaire général du syndicat général puis national de l’éducation surveillée, secrétaire général de la fédération « justice » de la CFDT – qui m’a permis de suivre la formation de directeur de la protection judiciaire de la jeunesse avant d’intégrer l’ENA, promotion Cyrano de Bergerac (1999-2001), aux côtés de l’ancienne ministre de Sarkozy Chantal Jouanno et de mon collègue marseillais Laurent Nunez, le préfet de police des Bouches-du-Rhône. Excusez du peu, mais pour un titi parisien qui a quitté l’école à 17 ans, c’est pas si mal.
« il y a des choses que le grand public ne voit pas et que certaines associations ne cherchent pas à voir. »
J’avoue, je suis un peu jaloux de mon camarade de promo. Préfet de police ça m’aurait plu. Malgré un passage par l’IGAS ou la direction de la DASS des Côtes d’Armor (4), ma fibre est plus sécuritaire que sociale. Dès 2007, j’ai d’ailleurs retrouvé la PJJ, au poste de sous-directeur des ressources humaines et des relations sociales. Les Val d’Oisiens peuvent aussi en témoigner. En quittant en 2015 la tête de la sous-préfecture d’Argenteuil pour Marseille, après deux ans de bons et loyaux services, je me suis vanté dans la presse « de la baisse de la délinquance sur la zone de sécurité prioritaire » (5). En même temps, j’avais pas grand-chose à leur vendre sur l’emploi et la jeunesse, mes deux autres priorités m’installant…
Bien évidemment, ça fait hurler les associations d’aides aux plus démunis de Marseille, la fondation Abbé Pierre, Médecins du monde et Rencontres tziganes en tête. J’ai bien essayé de les amadouer. En débarquant, je m’étais extasié « de la richesse d’initiatives sur le terrain émanant d’un foisonnement du tissu militant et associatif » (6). Mais la lune de miel n’a duré que quelques jours. Dès notre première rencontre elles ont hurlé au loup sous prétexte de l’expulsion d’un campement Roms pendant notre réunion et de la programmation de plusieurs autres dans les jours suivants (7). Résultat, maintenant elles me flinguent dès qu’elles peuvent, me reprochant mes beaux discours et mon inaction, notamment de ne pas appliquer la circulaire du 26 août 2012 sur la mise à l’abri des familles Roms expulsées et de travailler main dans la main avec la mairie de Marseille qui dégaine un peu facilement, il faut bien l’avouer, ses très pratiques arrêtés de périls.
Mais « il y a des choses que le grand public ne voit pas et que certaines associations ne cherchent pas à voir. Il existe un grand nombre de petits campements qui ne subissent pas d’expulsions. On y fait des diagnostics pour explorer les voies d’insertion possibles […] La difficulté pour nous, c’est de trouver le chemin, qui est très fin et sensible, entre l’application du droit, et le droit de propriété en fait partie, et le besoin qu’il y a de favoriser l’insertion de ces personnes. En sachant, il ne faut pas se cacher les yeux, qu’il y a un certain nombre de familles qui ne montrent pas de signes d’intégration, comme celles qui organisent la mendicité de leurs enfants » (8).
Désolé si ça défrise certains, mais je ne me suis jamais caché. Dès ma prise de fonction, j’avais annoncé la couleur : « avec le préfet de police nous allons coordonner nos moyens car ils sont limités et cela aura un effet d’entraînement pour d’autres dispositifs » (8). Je n’ai jamais dit lesquels ! Et l’expulsion des Roms en est un, au même titre que le traitement essentiellement policier des problèmes des quartiers nord de Marseille…