« Ne pratiquons pas le tri entre les hommes désespérés ! »
Sur un beau terrain dans le huitième arrondissement de Marseille la communauté Emmaüs de la pointe de rouge a restauré une ancienne fermette composée de 10 chambres tout confort (douche et toilettes individuelles), d’un vaste salon commun avec terrasse jardin et parking privatif. Ceci n’est pas une annonce immobilière alléchante dans un quartier chic de Marseille mais le descriptif d’un hébergement collectif appelé « fermette de l’Abbé Pierre » inauguré fièrement, le 17 octobre journée internationale du refus de la misère, pour accueillir 10 personnes dont des réfugiés de guerre.
« Servir premier le plus souffrant », c’est la devise des compagnons d’Emmaüs depuis qu’ils existent (1949 l’Abbé Pierre accueille le 1er compagnon, un nommé Georges). Dans ce cadre, l’accueil des réfugiés qui ont fui leur terre, leur maison, leurs proches à cause de la guerre nous semble particulièrement normal et logique. Nous leur souhaitons la bienvenue à Marseille, terre d’accueil et de migrations ! Désormais, le nombre de compagnons d’Emmaüs de la pointe rouge sera de 66, dans cet espace de solidarité nous pratiquons 16 langues, et nous n’avons jamais eu de problème avec cette diversité, bien au contraire !
Solidarité, Accueil et Partage sont les trois valeurs fondamentales dont nous sommes particulièrement fiers. Et ce n’est pas aujourd’hui que nous allons mettre nos convictions dans notre poche. Et tant pis pour les politiciens de tous poils qui se servent de la question des réfugiés pour diffuser des idées nauséabondes et populistes dans une ville où la pauvreté bat des records. Permettre à des familles qui ont fui la guerre de se poser à Emmaüs et de participer à nos activités de solidarité est un honneur pour nous !
Nous demeurons ainsi fidèles à notre vision humaniste léguée par notre fondateur. Marseille, notre ville, a connu plus de 2600 ans de politique du refus de l’étranger, du repli sur soi avec toujours les mêmes arguments tournant autour de l’impossibilité d’accueillir tout le monde. Plus récemment en octobre 2015 au conseil départemental des Bouches-du-Rhône, la droite et l’extrême droite ont rejeté la motion pour l’accueil des réfugiés. Il était notamment demandé au conseil départemental de financer des initiatives citoyennes et accompagner des communes volontaires… Honte à ces politiciens qui ont oublié une des valeurs de la République : la fraternité !
Plus récemment, le maire Les Républicains du quatrième secteur de Marseille (6e et 8e arrondissements) vient d’écrire au Préfet de région une lettre incendiaire…Yves Moraine n’apprécie pas d’avoir appris par les réseaux sociaux la possible réquisition d’une partie de la résidence de l’association Adoma, située dans son secteur, à la Vieille Chapelle (8e arrondissement)… Il est particulièrement fébrile notre maire, effrayé par l’arrivée d’une quinzaine de migrants (sur un arrondissement de près de 80 000 habitants…). Si la France renvoie l’image d’un pays plutôt replié sur lui-même c’est simplement parce que les voix les plus hostiles à l’accueil des réfugiés sont celles qui font le plus de bruit et force est de reconnaître qu’à Marseille, certains politiciens, à défaut d’être brillants dans la gestion de leurs administrés, sont bruyants…
Heureusement, la majorité des Français est accueillante mais demeure silencieuse en tout cas loin des micros et des caméras ! Nous mesurons autour de nous à Emmaüs un élan de solidarité au quotidien, il s’exprime notamment par le don : toutes les cinq minutes, nous accueillons au sein de notre espace de la Pointe Rouge un donateur qui arrive avec son véhicule chargé de vêtements livres et autres objets exprimant ainsi sa solidarité avec nos actions. Il fait partie de ces anonymes qui ne se reconnaissent pas dans « l’hystérisation » autour de la question des réfugiés à laquelle nous assistons aujourd’hui. Avouons-le, ça nous donne de l’énergie pour continuer à porter nos valeurs et d’agir.
Depuis 1957 la Communauté Marseillaise de la Pointe rouge aide concrètement en accueillant des familles pour les meubler, en distribuant des colis alimentaires, en allant devant la mairie avec un petit camion distribuer café, croissants, fruits à tous ceux qui n’ont que le trottoir comme logement. Cette distribution dès 7h30 du matin en haut de la Canebière n’a toujours pas l’aval de la mairie… C’est dire l’intérêt que certains élus portent aux plus démunis dans cette ville, alors les Réfugiés, pensez-vous… !
À la veille des élections présidentielle et législatives où une partie non négligeable de politiciens font de la surenchère autour de la question des migrants et des réfugiés, nous les interpellons aujourd’hui, comme hier : Messieurs et Mesdames les élus et prétendants au pouvoir, que proposez-vous comme solutions contre la pauvreté ? Avez-vous un programme contre le mal logement ? Que proposez-vous sur la ville de Marseille pour l’accès à l’eau à tous les sans abris ? Et les douches ? Que proposez-vous à tous ces gens qui n’arrivent plus à s’alimenter correctement ? Nous vous rappelons juste cette citation de l’Abbé Pierre : « le pouvoir est fait non pour servir les heureux mais pour la délivrance de ceux qui souffrent injustement. »
À tous ceux qui sont tentés d’opposer les bons SDF et les affreux réfugiés, des bons croyants et les autres, nous ne tombons pas dans votre piège. Nous ne pratiquerons jamais à Emmaüs le tri entre les hommes désespérés ! Alors aujourd’hui la centaine de compagnes, compagnons, bénévoles, responsables et salariés de la communauté Emmaüs de la Pointe Rouge avec l’aide de la Fondation Abbé Pierre du Mouvement Emmaüs et a décidé d’accueillir deux familles que la folie des hommes a rangé dans le lot de ceux que l’Abbé Pierre désignait comme les plus souffrants et de leur proposer de venir nous aider à aider.
2 chambres pour 100 militants ça ferait 1 200 000 pour 60 millions de français. En revanche le « quota » français de 24 000 ça fait 4 réfugiés pour 10 000 habitants. Insupportable ! Quand y en a pour 10 000 y en a pas pour 10 004 c’est quand même facile à comprendre ! Après de 2600 ans d’échec des politiques réalistes de tous acabits, ne serait-ce pas le moment de laisser faire les utopistes et d’accueillir dignement et sans conditions tous celles et ceux que les conflits économiques ou militaires ont conduit à notre porte et nous offrent leur bras et leurs talents?
Alors oui, répondons à l’appel. Mes amis, au secours ! Kamel Fassataoui
Tribune libre publiée dans le Ravi n°145, daté novembre 2016