Des jeunes énervés !
Premiers boutons, premières manifs… Les mobilisations contre la loi travail et lors de Nuit debout ont été pour beaucoup de jeunes l’objet de leurs premiers instants de militantisme, en s’opposant à… un gouvernement socialiste. C’est le cas d’Antoine, 17 ans, en 1ère en arts appliqués au lycée Diderot à Marseille. Pull à capuche rouge et moustache naissante, il a pris goût aux manifs et aujourd’hui, il est venu défendre le dispositif des Zones d’éducation prioritaires. Mais est-il de gauche ? « Oui », plutôt tendance NPA ou Mélenchon. « Réduire les inégalités, abolir les classes sociales, révolutionner le travail », défend-il. Il n’aura pas l’âge d’aller voter en 2017 mais de toute manière, il se serait rendu aux urnes sans illusion : « Pour tuer le capitalisme, l’important c’est la mobilisation. »
Dans le cortège ce 17 novembre, surtout composé de profs, certains manifestent pour la première fois comme Lila, en terminale au lycée Saint-Exupéry dans les quartiers nord de la ville (15ème). Pour elle, l’important, « c’est la défense des ouvriers ». Elle raconte qu’autour d’elle, les jeunes se sentent concernés par la politique « parce que ce sont nos quartiers qui sont le plus touchés par les problèmes ». Elle ira voter à gauche en 2017 mais attend de voir les programmes. La tranche des 18-24 ans est pourtant un réservoir d’abstentionnistes : 65 % lors des dernières élections régionales ! Et cela touche aussi des jeunes fortement politisés mais dégoûtés du système et des partis.
Parfois même lorsqu’ils y sont encartés, comme Marius, intérimaire de 20 ans et Jeune communiste venu soutenir les manifestants. « Qu’est-ce qu’on entend par "la gauche" ? Les socialistes sont-ils de gauche ? Non, néolibéraux. Le parti de gauche ? Populiste, analyse-t-il. C’est sûr que je ne suis pas de droite mais je suis communiste avant tout. Il nous faut une économie pour répondre à des besoins, pas aux profits, prendre en main le travail, ses conditions de vie… Nous parlons de vraies choses. » Il ne sait pas encore s’il ira voter : tout dépend du candidat et du programme.
Plus radical encore, Théo (27 ans) et Hervé (20 ans), deux membres du collectif informel marseillais des « Jeunes 13 NRV », du nom d’une banderole déployée lors des manifs contre la loi El-Khomri. Cette cinquantaine d’ « énervés » d’une vingtaine d’années s’est faite récemment remarquer en ouvrant un squat en centre ville, lançant un centre social autogéré avant de se faire déloger, réfugiés sur le toit de l’immeuble, par la police. « Notre vision des choses, c’est se dépasser collectivement, s’aider pour pouvoir reprendre sa vie en main, repenser les relations aux autres, au travail… Bref, comment s’approprier son espace, martèlent-ils. La gauche, ça ne veut plus dire grand-chose, même s’il y a encore une petite affinité. La radicalité est d’autant plus nécessaire que le cadre politique est sclérosé. » Pour eux, le vote est devenu futile, ils envisagent même une campagne pour inciter à l’abstention. Le NPA, les syndicats ? « Ce sont nos ennemis les plus proches, ils canalisent une colère en faisant rentrer les gens dans les rangs, de façon plus douce qu’une matraque », ironisent-ils.
Autre profil, celui d’Ariane Vitalis, Vauclusienne de 24 ans et candidate lors de Laprimaire.org (voir le Ravi n°144). Eliminée, elle a rejoint une candidate toujours en lice et ne votera que pour « une candidature citoyenne ». « Droite, gauche, tout cela n’est plus vraiment incarné, tranche-t-elle. Je me positionne en dehors des partis mais pour défendre des valeurs universelles : le partage, la fraternité, l’écologie. »
Mais les formes de militantisme classiques existent encore chez les jeunes de gauche. Solène Arnal, 20 ans, est animatrice départementale du Mouvement jeunes socialistes (MJS) de Vaucluse depuis deux ans. Elle tient à rappeler que le MJS n’est pas une simple branche du PS mais qu’il agit en autonomie. Elle a d’ailleurs manifesté contre la loi travail. « La gauche doit avant tout avoir comme obsession : l’égalité », souligne-t-elle. Elle revendique l’internationalisme, l’ouverture des frontières, et ira voter aux primaires socialistes, pour l’aile gauche du parti. Si elle admet que des mesures gouvernementales ont été parfois difficile à avaler, elle loue les emplois d’avenir, le mariage pour tous, la réforme des collèges… et reste persuadée que le socialisme a de l’avenir : « On nous fait croire que l’égalité, la lutte contre la pauvreté, c’est archaïque mais c’est le futur face au libéralisme et ses vieilles recettes qui sont inefficaces. »
Carolina Faye, elle, a choisi le syndicalisme étudiant et l’Unef, classé à gauche. Etudiante en biologie de 22 ans, elle est issue d’une famille « où personne n’est politisé ». Simple militante, elle a gravi les échelons avant d’être élue présidente pour l’académie Aix-Marseille. Sa vision de la gauche : « œuvrer pour le plus grand nombre, l’égalité, et lutter contre les discriminations et l’exclusion ». Elle en veut au PS et à Hollande d’avoir trahi les jeunes, ira voter et appelle à le faire même « si c’est difficile de se retrouver dans le paysage ». Mais attend de choisir son candidat. Osera-t-il, une fois de plus, refaire le coup de "ma priorité c’est la jeunesse" ?
Clément Chassot
Enquête publiée dans le Ravi n°146, daté décembre 2016