La crise sociale risque de rebondir
« Les gens pauvres sont encore plus pauvres aujourd’hui, s’il y a une deuxième vague, il va y avoir un problème. Vraiment. » Au Mc Do de Saint-Barthélémy, Salim Grabsi est prudent. Dans le local qui a servi de plaque tournante autogérée à l’aide alimentaire pendant le confinement, les distributions ont visiblement réduit, en ce 17 juillet, et laissé la place à des discussions sur l’avenir du fast food, en attendant les élèves accueillis dans le cadre des « Quartiers d’été – vacances apprenantes » la semaine suivante. Mais les besoins sont toujours là : si le travail précaire – au noir, en intérim ou dans les services à la personne – a pu reprendre, nombreux sont ceux qui ont dû emprunter pour vivre et doivent aujourd’hui rembourser. Et il y a le problème des loyers : « Les gens ont dû faire le choix entre payer à manger ou le loyer, détaille Salim Grabsi. Ils l’ont fait et il y a beaucoup de loyers impayés. »
Pas de filet de sécurité
L’arrêt du confinement n’a vu qu’une résorption partielle de la crise sociale qu’il avait entraînée. Le nombre d’inscrits à Pôle emploi a progressé d’un quart sur le deuxième trimestre 2020, malgré une baisse de 6,4 % en juin (1). À la banque alimentaire des Bouches-du-Rhône, qui avait augmenté de 50 % ses distributions pour atteindre 200 000 repas par semaine, les besoins restaient de 20 à 25 % supérieurs à la normale cet été. Au Secours populaire des Alpes-Maritimes, le nombre de bénéficiaires a doublé, de 5 000 à 10 000, pendant le confinement et s’est maintenu : « Avec le déconfinement, on espérait que certains retrouveraient leur emploi. C’est le cas, mais on a des nouvelles personnes », précise Jean Stellittano, son secrétaire général. Parmi celles-ci, des publics inédits : étudiants sans bourses ni jobs d’été, mais avec des loyers, commerçants, restaurateurs, auto-entrepreneurs trop petits pour rentrer dans les dispositifs d’aide et pénalisés par la baisse du tourisme, même si la situation s’est partiellement améliorée en août.
Les plus précaires sont les plus durement touchés. Le Secours catholique des Bouches-du-Rhône a vu arriver en masse un public en situation irrégulière, qui se débrouille habituellement seul : « Ils n’ont pas le droit de travailler ou aux prestations sociales, ils n’ont pas de filet de sécurité, et il n’y a pas eu de mesures de régularisation comme dans d’autres pays. » L’association a signé avec une cinquantaine d’autres un appel à la mise en place d’une aide alimentaire inconditionnelle à Marseille, le 26 mai dernier, qui n’a pas reçu de réponse institutionnelle.
Septembre est redouté. « On est très inquiets. On aura des problèmes très importants à régler cet hiver, en plus des risques de reconfinement », évoque Jean Stellittano. Comme les autres acteurs interrogés, il évoque principalement l’action des préfectures et des directions départementales de la cohésion sociale : « Ils sont sur le pied de guerre, travaillent avec nous sur du stock stratégique avec la possibilité d’un nouveau confinement, même local. S’ils bloquent Nice, Antibes, Cannes, il faut avoir une autonomie de quelques jours. »
Faim et incertitudes
« On est loin d’être sortis du problème, que la crise soit sanitaire ou économique, les conséquences restent les mêmes », confirme Gérard Gros, président de la banque alimentaire des Bouches-du-Rhône, qui table sur un besoin de 150 000 à 200 000 repas par semaine à la rentrée. Mais le stock, tombé à 300 tonnes après le confinement, n’est remonté qu’à 350 tonnes cet été, alors qu’il faut 500 tonnes “pour tourner bien”. Au niveau national, l’État a débloqué 55 millions d’euros supplémentaires le 10 juillet pour l’aide caritative, mais leur répartition n’est pour l’instant pas connue. « On est dans l’incertitude », abonde Romain Peray pour le Secours catholique. Si la préfecture des Bouches-du-Rhône a maintenu les aides d’urgence, hébergements à l’hôtel et tickets-services, « il n’y a pas eu de mesures fortes, pendant l’été, par rapport à tous les constats remontés, sur les publics en situation irrégulière, le logement, le 115 saturé… » Avec le collectif Alerte PACA, dont font partie aussi Médecins du Monde, l’Uriopss, les Petits frères des pauvres et Action contre la faim, l’association prépare un bilan de la période du confinement et des préconisations pour interpeller les pouvoirs publics en septembre. De son côté, Salim Grabsi regrette une absence de reconnaissance institutionnelle du travail des petites associations, chevilles ouvrières de l’aide alimentaire : « Les petites assos l’ont en travers, se disent, puisqu’on ne nous respecte pas, qu’on est toujours invisibles, l’État verra la prochaine fois s’il peut faire sans nous… »
Des échéances cruciales se profilent à la rentrée : l’attribution, dans la loi de finances 2020, de crédits pour la création de places en structures d’hébergement d’urgence, plus pérennes que les hôtels. Et les discussions sur les sommes attribuées à l’aide alimentaire dans le Fonds social européen, une des sources d’approvisionnement des associations. Pour cela, les structures interrogées se préparent à des discussions acharnées, pour des montants très inférieurs à ceux alloués aux aides économiques. « Il y a des sommes colossales pour l’aide économique, commente Gérard Gros. Mais le temps que ça se redresse au niveau économique, les gens continuent d’avoir faim. »
1. Ce chiffre concerne les chômeurs de catégorie A.