L’économie du bois sent le sapin en Paca
Frédéric-Georges Roux est à pied d’œuvre. Le président de l’Union régionale des syndicats de forestiers privés prépare une formation à la vente de bois destinée aux propriétaires. Avec le démarrage cette année des centrales biomasse (1) de Brignoles (83) et de Gardanne (13), ces derniers n’ont jamais été autant sollicités. La centrale biomasse Sylviana de Brignoles, exploitée par Inova depuis février 2016, consomme 140 000 tonnes de bois local par an. A Gardanne, la centrale Provence 4 Biomasse (P4B) d’Uniper (ex E.On) est sur le point de démarrer [Pour en savoir plus sur la prochaine mobilisation des opposants contre la « bio’mascarade » c’est par ici]. Les achats de combustible ont déjà commencé pour répondre aux 855 000 tonnes de besoin annuel. La part de bois d’origine régionale sera d’abord limitée à 83 000 tonnes par an.
Mais les énergéticiens ne sont pas les seuls gros consommateurs du bois de Paca. L’usine Fibre Excellence de Tarascon (13), productrice de pâte à papier, consomme à l’année 280 000 tonnes de bois originaire du territoire. S’ajoutent à cela toutes les chaufferies-bois des collectivités. L’observatoire de la forêt méditerranéenne en recensait 284 en 2015, pour une consommation de 90 000 tonnes par an.
Paca n’est pas le Jura
Une demande que la forêt satisfait dans la douleur en raison d’un contexte naturel et économique particulièrement contraint. De par ses sols, son climat et ses essences, la forêt méditerranéenne est peu fertile. « Des installations très consommatrices de bois se sont installées dans une région qui en produit peu et mal. Nous ne sommes pas dans le Jura ! », s’agace Jérôme Dubois, professeur à l’institut d’urbanisme et d’aménagement régional. D’autant plus que les récoltes sont plus compliquées en Paca car les massifs, souvent flanqués sur de fortes pentes et dépourvus de pistes adaptées, sont difficiles d’accès. Il y a pourtant du stock sur pied disponible et c’est surtout l’absence d’une véritable filière forêt-bois qui entrave l’approvisionnement des gros consommateurs.
« Les bûcherons et les exploitants ont besoin d’investir, il n’y a pas assez de camions, pas assez d’abatteuses », observe Frédéric-Georges Roux. Des efforts ont toutefois été engagés à l’échelle régionale. « Une interprofession de la filière forêt-bois a été créée […] nous essayons de trouver des solutions […] mais nous n’en sommes qu’au début, rapporte Didier Savanier, président d’Inova. J’aimerais pouvoir vous dire que la filière s’est structurée […] Malheureusement ce n’est pas le cas. » Plus habile dans le maniement de la langue de bois, Uniper affirme proposer des contrats de long terme à ses fournisseurs afin de « soutenir [leurs] investissements […] dans des équipements les plus adéquats possible pour la production de bois énergie ».
Mais pour Richard Fay, du collectif SOS Forêt du Sud, « cela ne va pas vers un usage durable et diversifié du bois ». Dans une économie vertueuse, industriels et énergéticiens ne consomment pas le bois à haute valeur ajoutée censé alimenter la filière bois d’œuvre. Un schéma qui n’est pas respecté en Paca. « L’entrepreneur, à la recherche de stabilité dans son activité, va honorer les contrats d’approvisionnement des centrales en priorité, s’alarme Richard Fay. Cela ruine les efforts de valorisation du bois dans la construction et l’équipement alors que le secteur des scieries a besoin d’être redynamisé. » Et même si Uniper assure « mettre en place une mobilisation raisonnée de la ressource servant une utilisation différenciée », des bois valorisables arrivent sur son parc de stockage. Ils partiront en kilowattheures et en fumée.
Hausse des prix
L’arrivée des « petits » nouveaux a d’autres effets. « Quand un gros consommateur entre sur un marché, il y a un risque de tension à la hausse sur les prix, explique Philippe Delacote, chercheur au laboratoire d’économie forestière de l’Inra. Dans le cas des centrales biomasse, cette tension s’applique sur le marché du bois énergie mais peut aussi […] avoir des effets indirects sur le prix de la pâte à papier. » Un risque pris très au sérieux par Fibre Excellence (2). « Les acheteurs de Tarascon se sont précipités sur le marché du bois pour bétonner leur approvisionnement. Ils ont battu la campagne pour acheter à tour de bras », relate Richard Fay.
Une aubaine pour les propriétaires forestiers qui ont compris dès 2013 qu’ils pouvaient faire jouer la concurrence. « J’ai dit aux acheteurs : “Si vous voulez tous du bois […] les prix vont augmenter”. Nous avons lancé la grève des coupes jusqu’à ce qu’ils acceptent de discuter des conditions, se rappelle Frédéric-Georges Roux. Nous avions même prévu de créer l’Opeb (3). Le préfet du Var m’appelait Monsieur l’Émir ! » Trois ans plus tard, l’explosion des prix du bois déchiqueté utilisé dans les chaufferies ne s’est pas produite. « Les phénomènes apocalyptiques annoncés avec l’arrivée des centrales n’ont pas eu lieu car Uniper s’approvisionne surtout ailleurs », relativise Jérôme Dubois. Une part importante du combustible utilisé à Gardanne provient en effet du Languedoc-Roussillon et de l’étranger. Et pour Philippe Delacote, « si un consommateur est capable d’aller chercher du bois à l’extérieur, la tension sur les prix est amortie ».
Mais Uniper entend « faire évoluer son plan d’approvisionnement vers du 100 % local sous 10 ans ». La filière forêt-bois régionale sera-t-elle alors en mesure de supporter durablement une telle pression ? Ceux qui font mine d’y croire sont rares comme des planches made in Paca.
Clément Champiat
Enquête publiée dans le Ravi n°146, daté décembre 2016