I want (not) to believe !
Contrairement à David Vincent, ce n’est pas en cherchant un raccourci sur une route de campagne que nous les avons découverts. Mais en errant sur la toile : il y a quelques mois, l’armée américaine publie trois vidéos déclassifiées montrant des objets volants non identifiés. Pour commenter ces images ? Pascal Fechner, président alors de l’antenne française du Mufon, un réseau d’enquêtes sur ces phénomènes, basée à Valensole dans les Alpes-de-Haute-Provence. Un lieu que le Ravi connaît pour y avoir consacré un reportage dessiné (Cf n°132) sur les « Journées de Valensole » qui célèbrent la « rencontre du troisième type » faite par un agriculteur en 1965. Cette année, Covid oblige, pas de rassemblement prévu.
Mais les astres sont bel et bien alignés. Ravi d’être contacté par le Ravi, celui qui, dans le civil, est « cadre bancaire », nous donne rendez-vous non à Valensole – « de toute manière, nous n’avons pas de bureau » – mais au tribunal de Digne ! Car si notre région peut s’enorgueillir de cieux dont la qualité invite à l’observation, parfois, chez les ufologues, ça ne vole pas très haut !
Démonstration début juillet à la barre. Corseté d’un gilet et dûment masqué, Fechner attaque pour « diffamation et injure publique » Sylvano Trotta et Marc Bethmon. Le premier est un youtuber prolixe dont les violons d’Ingres vont de l’Ovni au 11 septembre en passant, plus récemment, par le coronavirus. Le second, un ambulancier qui aurait été « abducté », c’est-à-dire enlevé par des extra-terrestres. Fin 2018, les voilà à critiquer dans une vidéo le Mufon France et son président. Pour Trotta, c’est « une pitrerie hallucinante. Rien qu’à voir leur dirigeant prendre la pose, vous allez comprendre […] N’allez pas témoigner dans ces organismes, vous allez être maltraités ». Ça pourrait même, dit-il, « vous attirer des ennuis assez importants ».Bethmont, lui, traite Fechner de « barbot » qui ferait « des enquêtes de police sur le dos de tous les témoins et abductés ».
Rencontres entre trois types
Las, déplore la présidente, ils ne sont pas là. Pire, l’argumentation de l’avocate de Trotta fait mouche, l’action étant prescrite puisque les conclusions de l’expertise, suite à la plainte, ont été rendues six jours après le délai de trois mois qui régit ce type d’affaire. Le fond ne sera même pas abordé ! La juge, en renvoyant Fechner dans ses cordes, est désolée : « Le tribunal aurait bien discuté avec vous de ce que fait votre association mais voilà…»
Ce n’est donc pas à la barre qu’il pourra s’expliquer. Ni dans le centre-ville de Digne, aussi animé qu’un cadavre de martien du côté de Roswell : pas un troquet à l’horizon ! Direction donc la cafétéria d’un supermarché pour discuter, autour d’un petit noir, des petits hommes verts. Fechner, flanqué de celle qui le seconde, Camille Fouquart, fait la moue : « Je ne voudrais pas qu’on apparaisse comme des farfelus. C’est tout le contraire ! »
Si le Mufon est, dit-il, « la plus ancienne association ufologique encore en activité », l’antenne française a vu le jour après les 50 ans de la « rencontre de Valensole ». Un cas, pour eux, « emblématique, quasi mythique ». Et leur mission, c’est « enquêter sereinement sur la base des observations transmises afin d’apporter nos explications et faire de la pédagogie. Autour d’un sujet pour lequel il y a un réel engouement mais qui a été galvaudé, ridiculisé, on se veut autant caisse de résonance que de “raisonnance”. Étudier l’ufologie ne veut pas dire que vous êtes “croyant”, que vous adhérez à toutes les thèses ! »
Et de décrire d’un côté le « zététitien pur pour qui ça n’existe pas et qui va tout faire pour le démontrer et, de l’autre, celui qui va tout voir par le prisme extraterrestre. Nous, on est au milieu. Ce qu’on dit aux gens, c’est qu’on a le droit de voir des choses qu’on ne comprend pas – on peut même porter ça toute une vie ! – mais on peut peut-être trouver une explication. Un avion, un satellite, un phénomène météo, on peut regarder les cartes stellaires… Après, s’il n’y a pas d’explication, ça ne veut pas forcément dire que c’est extra-terrestre. Alors, soit on laisse le champ à ceux qui racontent n’importe quoi, soit on essaye d’être rigoureux. Mais, à être entre les deux, on se fait taper dessus par tout le monde ! »
Une structure complémentaire en quelque sorte du Geipan, le très officiel Groupement d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés : « On a une soixantaine de témoignages par mois, poursuit Fechner. Avec des pics comme lors des lancements des grappes de satellites Starlink. Nos outils sont simples et accessibles. Un ordinateur et des logiciels, notamment d’astronomie. C’est comme pour l’archéologie. Oubliez Indiana Jones ! Notre travail est assez austère. Et on s’appuie sur un réseau d’une quinzaine d’enquêteurs. En écartant les gens un peu trop convaincus. » Prudent, il s’estime « incompétent pour recueillir le témoignage de personnes qui se disent abductées. D’un point de vue psychologique, il peut y avoir une fragilité. Il faut faire attention. Et n’oublions pas que l’ufologie peut être la porte d’entrée de mouvements sectaires. »
Trop terre-à-terre
Au passage, il déplore « l’étanchéité » des « autorités militaires. Quand on a demandé des explications suite au survol par un aéronef de Fessenheim, comme c’est nucléaire, on nous a répondu “circulez, y a rien à voir”. C’est du métal dont on forge les soucoupes ! » Pas de souci en revanche pour répondre aux « journalistes. On fait aussi une veille médiatique et on lance des appels à témoin. On participe également à une émission sur C8. Et sur les réseaux sociaux, on a des vidéos, notamment “Vrai U faux ?”… »
Et de conclure : « Après, les gens ont besoin de rêver et certains nous trouvent trop terre-à-terre. Moi, j’adorerais avoir le “smoking gun”, la preuve irréfutable. D’ailleurs, la découverte des premières exo-planètes, ça ne remonte qu’à 1995. Mais une année-lumière, quand on sait qu’elle correspond à 300 000 km par seconde, ça fait un bout ! Alors, comme le dit un astrophysicien, “la prochaine fois que vous vous faites enlever, piquez un truc” ! » La soucoupe de notre café se fait volante. Et on quitte la grande surface la tête dans les étoiles…
Juste avant la nuit consacrée à celles filantes, ultime rebondissement : coup de fil de Fechner. Pour nous dire qu’il a démissionné du Mufon France ! « Le patron du Mufon aux Etats-Unis est impliqué dans une affaire de pédophilie. Il a été démis de ses fonctions mais sans condamnation assez ferme à mes yeux. Avec Camille, on a donc démissionné et monté notre structure. Un média spécialisé plutôt qu’un organisme basé sur le recueil de témoignages, Maybe Planet. Un pas de côté, en quelque sorte … » L’idéal pour éviter de trébucher. Et mieux rebondir !
1. Le site du Mufon France est désormais inaccessible. Contrairement à celui de Maybe Planet : www.maybeplanet.com