Des souris et des hommes
Sur les vitres de cette école d’informatique, au fin fond du technopole marseillais à Château-Gombert, quelques affiches : « Supinfo, c’est 36 campus : certaines écoles parlent de mobilité, nos étudiants la vivent. » Un « voisin » nous prévient : « Vous n’allez pas trouver grand monde. Apparemment, il y a eu des problèmes d’impayés. » Confirmation du propriétaire des murs : « Mais les discussions sont en bonne voie ».
Sauf qu’il n’y a pas que les loyers qui ont du retard. Plusieurs enseignants déplorent leurs difficultés pour se faire payer. « Certes, le monde de l’informatique n’est pas tendre. Et à la fac aussi, cela peut prendre du temps pour être payé, note l’un d’eux. Mais là, il a fallu batailler des mois pour des factures de plusieurs milliers d’euros. » Et ce, note l’un d’eux, « dans une école où les étudiants payent 6000 euros par an et où ceux de 3e année sont encouragés à jouer les profs ».
Question sensible : lorsqu’on sollicite le responsable du campus marseillais, celui qui répond, pour nous dire en substance que tout est réglé et que la rentrée aura bien lieu en novembre, c’est Alick Mouriesse, le patron du groupe ! « Après avoir constaté plusieurs anomalies dans le suivi administratif et financier de la région sud-est, explique-t-il, je viens personnellement de prendre en charge la responsabilité de sa gestion. » Et de noter : « Visiblement, des esprits malins attirent toujours l’attention sur les aspérités dans notre groupe », y voyant là la main de « certains concurrents ».
Supinfo code erreur 403
Comme derrière le blog « Sup-Infox Arnaques », estime-t-il. Ou l’article, l’an dernier, de Marianne dressant le portrait de ce patron propriétaire d’un château en Belgique et de voitures de collection mais dont l’antenne parisienne du groupe, avec un million d’euros de dettes auprès des caisses de retraite, du fisc et de l’Ursaff, a été placée en redressement judiciaire.
Mouriesse a attaqué l’hebdo en diffamation qui, dans l’attente de la décision de la Cour d’appel fin novembre, a déjà été relaxé en première instance. Et consacre une section entière du site de son école pour dénoncer derrière ces articles et témoignages les manœuvres d’anciens collaborateurs et de concurrents avec lesquels il est en conflit. Ce qu’il nous redit dans un long mail. Où, à propos des retards de paiements des intervenants, il écrit : « Un enseignant [qui n’est] pas satisfait de [nos] délais de paiement est parfaitement libre de préférer ne pas être reconduit et laisser sa place à un de ses collègues. »
Un cas isolé ? Semble-il. Même si un prof ne comptant plus ses mails avec Supinfo a dû aussi aller en justice pour être payé par un organisme de formation varois. Son collègue n’est pas étonné : « Il y a un regain d’intérêt pour le numérique. Alors certains surfent là- dessus. Pourtant, on ne peut pas enseigner le code ou l’algorithmique à tout le monde ! »
Effets d’aubaine
Une problématique aiguë pour Simplon Mars, l’école de code hébergée par Centrale à Marseille. Pour 25 places réservées avant tout aux jeunes des quartiers, il y a eu « 100 candidats contre 30, il y a trois ans », note Guillaume Quiquerez. Qui assure que, dans chaque promo, « les deux tiers des étudiants viennent des quartiers. Avec des problématiques sociales à accompagner ». Et si « deux tiers » des sorties sont « positives», il reconnaît le risque d’un « effet de mode » et d’ « effets pervers ». D’autant que, dans un contexte de promotion à marche forcée, du numérique et de la formation, « il y a une incapacité à expertiser les experts ».
Frédéric Bardeau, le patron de Simplon, opine du chef : « Avec la promotion des "grandes écoles du numérique", il peut y avoir des effets d’aubaine. Vous avez un label, de la com’, une subvention… » Et d’assurer qu’il n’y a eu aucun conflit d’intérêt avec le passage éclair par Simplon d’un membre du secrétariat d’Etat au numérique. « On paye plutôt le fait d’être connu, précise-t-il. Mais, si Simplon fonctionne comme une franchise – qui oscille entre 20 et 50 000 euros – ça n’en est pas une. Et c’est tout sauf une recette miracle, précise-t-il. Il arrive d’ailleurs que la greffe ne prenne pas. » Comme dans le « 92 » où le Pôle S a préféré s’appuyer sur ses ressources et son ancrage pour développer « l’école du web des quartiers populaires » : « Ma 6té va coder. » Une initiative qui pourrait, avec le collectif « Pas sans nous », s’implanter ailleurs. Notamment à Marseille.
Au-delà, du côté de l’association marseillaise Urban Prod, on estime que l’urgence, c’est moins « l’enseignement du numérique que celui de la culture et des usages du numérique. Avant de transformer les gens en informaticien, il faut déjà lutter contre la fracture numérique. Et donc donner l’accès. Et les clés ». Pour cela, ce « média lab » situé entre la porte d’Aix, Belsunce et le Panier, a décidé d’ouvrir plus tard et d’aller à la rencontre des « migrants ». Et de regarder avec méfiance des nouveaux venus comme « Emmaüs Connect » : « Attention au social washing ! Lutter contre la fracture numérique, cela fait quinze ans qu’on fait ça ! Mais comme là, ça vient de Paris et qu’il y a des logos connus, les élus sont plus attentifs. » Soupir de la responsable de « Connections solidaires », un petit local situé boulevard national à Marseille, en face des locaux du Ravi : « Si seulement !» Pas de doute : pour éviter les bugs, il est urgent d’arrêter de décoder !
Sébastien Boistel
Article publié dans le Ravi n°145, daté novembre 2016