"Transformons Marseille !"
08:00
La mairie, ce 4 juillet, est cadenassée comme jamais. Côté Panier, le public tendance « Maison du bel Âge », attend pour rentrer. Côté mer, ceux qui ne veulent pas se faire « voler l’élection » commencent à s’accouder aux barrières entourant l’hôtel de ville. Et agitent leur trousseau en clamant « on veut les clés, la mairie est à nous ! ». Parmi les premiers arrivés, l’écolo Lydia Frentzel, fraîchement élue dans le 15/16 avec Samia Ghali, la sénatrice divers gauche des quartiers nord : « Je suis la 51ème», plastronne-t-elle. Celle qui peut donner la majorité à Michèle Rubirola du Printemps marseillais. Huées pour le frontiste Stéphane Ravier. Puis pour le divers droite Bruno Gilles. Martine Vassal, la patronne (LR) du CD13 et de la métropole, passe, elle, discrètement par le côté. Et arrivée triomphale du Printemps marseillais par l’entrée principale. Une hamoniste élue dans le 6/8 s’enthousiasme : « L’intégrité gagne toujours. » À voir…
09:22
Ravier chantonne : « On a tous quelque chose de Jean-Marie ! » Le candidat LR Guy Teissier est à la tribune. Doyen, l’ancien du Parti des Forces Nouvelles, un groupuscule d’extrême droite, préside la séance. Rappelle qu’il n’y aura « pas de débat ». Écorche un nom sur deux pour l’appel. Avant de céder sa place – « parce que je suis candidat » – à Marguerite Pasquini, une proche de Samia Ghali. Elle donne les règles du jeu : « L’élection se fait à la majorité absolue. Si, après deux tours, il n’y a pas de majorité, il y a un troisième tour à la majorité relative. En cas d’égalité, le plus âgé l’emporte. »
09:55
Les candidats ? Pour la gauche, l’écologiste Rubirola. Pour la droite, Teissier. S’invite Ghali. Mais, stupeur, Ravier, après avoir proposé à la droite un « pacte marseillais », annonce : « On ne présentera pas de candidat et on ne participera pas au vote. On vous laisse entre vous. » Le RN s’en va. Première suspension de séance. Devant la presse, le frontiste redoute l’alliance du « para avec la FLN ». Ça sort les calculettes : sans le RN, la majorité n’est plus à 51 mais à 47. Dehors aussi, ça rivalise d’analyses et de pronostics. Et la candidature de Ghali est diversement appréciée : « Marseille, c’est pas important, c’est mieux le Roucas blanc ! ». Ou « Ghali a une villa (avec piscine)« , référence taquine à ses démêlés avec la justice…
10:50
Malgré les sens de circulation spécial Covid, ça part dans tous les sens. 42 voix pour Rubirola, 41 pour Teissier, 8 pour Ghali et 1 blanc ou nul. Tout le monde regarde la radicale Lisette Narducci. Ex-soutien de Guérini puis de Gaudin, ayant fait campagne cette fois-ci avec Bruno Gilles (dissident, ex-LR), elle vient de rallier Ghali. Cette dernière demande une suspension. Et c’est parti pour un marathon de négociation !
11:30
Dehors, un char russe confectionné avec des affiches du Printemps marseillais passe au-dessus des têtes, accompagné par l’Internationale. Les sardines que Bakir a acheté sur le port commencent à sentir aussi bon que le scrutin…
12:55
La séance reprend. La droite piaffe d’impatience : « La démocratie, ce n’est pas l’anarchie, lance Teissier. On se croirait dans l’assemblée d’un parti d’extrême gauche. La prochaine fois que vous accordez une suspension, fixez-en la durée ! » Ça tombe bien, le PM en demande une d’une heure. Pour la pause-déjeuner : l’idéal pour négocier !
14:10
Valérie Boyer (LR), ex-porte-parole de Vassal, et Lionel Royer-Peyrault, le maire (LR) du 9-10 qui se serait présenté face à Teissier s’il y avait eu entente avec le RN, dénoncent les conditions dans lesquelles se tient la séance : cela « fragilise l’élection ». Mais, en contrebas, Ghali, avec Narducci et la suppléante de Jean-Luc Mélenchon, l’ex-écolo Sophie Camard, mettent la touche finale à l’accord qui se profile. Ça cause « délégation »… La chargée de com’ de Ghali demande au Ravi de respecter une certaine distanciation. Sans respecter les gestes barrière, la sénatrice peut annoncer à la presse qu’elle ne « divisera pas Marseille » et qu’elle votera Rubirola.
15:00
Sans candidature de Ghali, Teissier fait 41 voix, Rubirola 10 de plus. A la 51ème, c’est l’explosion ! A l’intérieur comme à l’extérieur. Marseille a un nouveau maire. En larmes, Rubirola voit Jean-Claude Gaudin lui souhaiter « bonne chance » en lui passant l’écharpe tricolore : « Marseille appartient à ceux qui viennent du large. Je ne sais si le Printemps vient du large, mais il vient de loin. » Et de dire son « soulagement ». Salue Ghali : « Je serai toujours disponible et attentive à vos demandes. » Ravier lance : « Combien vous avez payé ? » Elle rend hommage au socialiste Benoît Payan, qui en janvier s’était retiré de la course pour laisser Rubirola prendre la tête de liste. Et de se vouloir la maire « de tous les Marseillais ». Ceux qui ont « moins de 950 euros par mois », les « petits commerçants, les artisans », les associations, les start-up, les chercheurs, les intellectuels, les « enfants d’immigrés qui peuvent parfois se sentir à la marge (…) et qui êtes chez vous à Marseille, dont nous avons besoin de vous »… Au personnel municipal, elle promet « le dialogue » et de « libérer les compétences ». Elle prône « l’unité, la concorde ». Dénonce « le clanisme, le népotisme, le clientélisme ». Et annonce un budget « conforme aux recommandations de la Chambre régionale des comptes » : « Transformons Marseille ! » Standing ovation de la gauche. Puis de la droite. Mais pas du RN. Ravier lance : « Bravo la droite ! » Nouvelle suspension et premier bain de foule.
15:30
Sandra est soulagée : « J’habite Noailles et je comptais déménager si c’était pas le Printemps qui passait. Je vais pouvoir rester chez moi et voir enfin mon quartier changer ! On sera là dans la rue pour la soutenir si elle est bloquée par la métropole ! »
15:35
Teissier prend « acte » : « Bon courage ». Ravier se fait surtout les crocs sur « ceux qui se prétendent encore de droite » qui ont ajouté au « bilan catastrophique » le « désastre politique et démocratique ». En ligne de mire : les « irrégularités dans une campagne où on a été chercher les voix des malades d’Alzheimer dans les Ephad ». Le RN n’en a pas moins « tendu la main. Sans demander de poste de premier adjoint ou la présidence d’Euromed ». En vain. Alors il pointe les « tractations avec Samia Ghali » qui incarne « le clientélisme, le communautarisme ». Et conclut en redoutant que Rubirola fasse de Marseille « une ville accueillante pour les migrants », un « enfer pour ceux attachés à la sécurité et à l’identité ».
15:35
Ghali désinfecte le micro. Pour féliciter Rubirola. Et rétorquer à Ravier : « Vous êtes un diviseur, moi une rassembleuse. Et je suis fière que vous ayez perdu votre mairie de secteur. » Payan prend la suite pour remercier « Samia » et rendre hommage à la « première femme maire de Marseille » : « Quand on a rendez-vous avec l’histoire, alors l’histoire peut s’écrire. Chère Michèle, merci et au travail ! » Enième suspension de séance et nouveau bain de foule. Narducci s’enorgueillit d’être « la 51ème voix ». Le tout-terrain Henri Jibrayel (PS) assure que « la victoire efface tout ». La droite, elle, s’en va.
16:12
Reprise de séance. La nouvelle maire propose que son conseil compte 30 adjoints. Et, afin de les désigner, suspend la séance. Nouvelles tractations. Ça s’éternise. Explication d’un écolo : « Il faut faire de la place à Samia. Elle va avoir 5 adjoints, dont Lisette. Mais pas le poste de premier adjoint. »
17:45
La liste est prête : Payan 1er adjoint, Ghali, 2ème. Trois communistes. Un soupçon de socialistes (11), une pincée d’écolos (5), de société civile (6). Quand est proposé au RN de jouer les « scrutateurs » pour un scrutin sans surprise, le leader demande : « Y a quelqu’un qui a envie de se faire chier ? Non ? C’est bon, on vous fait confiance ! » La liste est adoptée. Mme la maire lit la charte de l’élu : « L’élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité… ». Ça ironise à l’extrême droite : « C’est pas gagné ! » Prochain conseil, consacré notamment aux « sénatoriales », le 10 juillet. La séance est levée.
De haut en bas, croqués par Trax : Michèle Rubirola, Samia Ghali, Guy Teissier.
Sébastien Boistel (dedans) avec Nina Pavan (dehors)