La très curieuse « philosophie de peuplement » de 13 Habitat
Sainte-Marthe, Les Hirondelles, Le Merlin, Les Chartreux, Les Docks, La Marie, Les Oliviers, Valnaturéal à Marseille ; Les Patios et Le Roucas à Vitrolles ; Le Grès à Martigues… C’est la liste des résidences que 13 Habitat soumet, pour les reloger, aux derniers locataires en attente de la cité marseillaise des Flamants.
L’évidente volonté de profusion ne masque cependant pas une absence. Et de taille. La toute nouvelle résidence des Paranques, dans le 13e arrondissement de Marseille. Un curieux oubli du bailleur social, bras armé du logement pour le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône présidé par Martine Vassal (LR). Proche du noyau villageois de Château Gombert, la petite dernière de 13 Habitat compte 86 logements. Aux yeux des locataires des Flamants, elle représente la « tranquillité ». Un cadre de vie à mille lieux du leur. En fin de vie, le dernier tripode historique de la cité abrite un trafic de drogue et un réseau de marchands de sommeil qui exercent sur le terrain un contrôle total. Plus classique : les pannes d’ascenseur, d’eau, d’électricité le disputent aux infiltrations qui ruissellent le long des murs.
Et s’il est des familles qui pourraient mériter d’intégrer cette nouvelle résidence, ce sont bien celles-là. Elles sont nombreuses à attendre ces relogements depuis plus de quinze ans. C’est en effet sur cette partie de la cité que s’est déroulée, en 2005, la première phase de travaux de rénovation. En 2009, la découverte d’amiante interrompt le chantier. Il ne reprendra qu’en 2020…
« Pas pour nous »
Ensuite, parce que 31 des 86 logements des Paranques ont été financés par des fonds octroyés par l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) dans le cadre du « projet Anru Flamants-Iris ». Ce que précise le rapport 71 de la commission permanente du Conseil départemental 13 en date du 14 septembre 2018. L’État apporte à lui seul presque 4 millions d’euros pour la construction de la résidence.
Si la démarche est légale, elle demeure malgré tout très éloignée de la politique de relogement prônée par l’Anru. Laquelle, rappelle sans détour la préfecture dans sa réponse écrite au Ravi, « doit offrir des parcours résidentiels positifs aux ménages, notamment en direction des logements neufs ou conventionnés depuis moins de cinq ans… ». Précisant même : « Les relogements hors quartiers prioritaires sont incités dans le cadre des projets NPNRU. » Le portrait sans masque des Paranques !
Dans un courrier envoyé juste avant le confinement au préfet Dartout, les locataires dénonçaient les cachotteries de 13 Habitat et de son président, le maire LR des 9e et 10e arrondissements, Lionel Royer-Perreaut. « Il se trouve justement que beaucoup d’entre nous demandent depuis plus de deux ans à être relogés dans les nouvelles résidences situées dans le 13ème arrondissement. On nous répond régulièrement, à l’oral, que ce n’est pas pour les gens comme nous… » Ils demandent donc que « toute nouvelle attribution de logement sur cette résidence leur soit réservée ».
Réponse de la direction du bailleur au Ravi, raide comme l’injustice : « Cette résidence n’a pas été construite pour reloger les locataires des Flamants. Il s’agit d’une opération de reconstitution [de l’offre]. Les attributions de ces logements sont donc ouvertes à toutes les candidatures dès l’instant où elles répondent aux critères. » Des critères que les locataires des Flamants aimeraient bien connaître.
Menaces de l’État
Les partenaires institutionnels de 13 Habitat également. En janvier dernier, Arlette Fructus, alors présidente de Marseille Rénovation Urbaine, adresse un courrier à Lionel Royer-Perreaut qui sonne comme un rappel à l’ordre : « Il me semble que 13 Habitat dispose d’un patrimoine conséquent qui devrait permettre d’accélérer le relogement en mobilisant l’ensemble de vos résidences et notamment toutes celles construites dans le cadre du PRU Flamants. » Dans leur réponse au Ravi, les services de l’État ne sont pas en reste. « Une attention particulière est portée aux conditions de relogement de ces habitants (des Flamants) », insiste la préfecture. Avant de laisser planer une menace : « Dans le cadre de l’instruction financière des demandes de subvention, une partie de celles accordées peut être retirée aux bailleurs qui manqueraient aux règles du relogement. »
Il était temps ! Les locataires du tripode A des Flamants n’en sont pas à leur première entourloupe. Il y a un an, alors que beaucoup avaient déjà fait leurs cartons, 13 Habitat a refusé à une quinzaine d’entre eux l’accès à deux résidences neuves que les équipes du bailleur leur avaient pourtant promises. La justification ? La « mixité sociale », au cœur de la « philosophie de peuplement » de 13 Habitat, qui aurait été heurtée (aïe !) que ces résidences tout juste sorties de terre soient occupées à 100% par des locataires des Flamants. Mais alors, comment justifier au nom de la « mixité sociale » qu’aucun logement des Paranques ne soit attribué aux locataires des Flamants ?
Dans un courrier daté du 16 décembre 2019 adressé à Lionel Royer-Perreaut, les locataires s’interrogeaient déjà : « Devons-nous comprendre qu’il se cache derrière des pratiques discriminatoires ? »
Émil Sara, Jean-François Poupelin et Rita Skeeter