La mer (méditerranée) à boire
« L’urgence est là, si on ne fait rien, la Méditerranée a vocation à devenir une mer morte. » Le constat vient de Christophe Madrolle, secrétaire général marseillais de l’Union des démocrates et écologistes (UDE). Ce proche de Jean-Luc Bennahmias – candidat à la primaire du PS – est aussi délégué au plan Méditerranée, mis en place après la COP 21, auprès de la ministre de l’écologie Ségolène Royal. Comment ne pas partager ce constat macabre ? D’abord sur le plan humain. La crise migratoire a déjà transformé la grande bleue en un véritable cimetière : 3800 morts en 2016 selon l’ONU, un record. L’urgence est également environnementale. En janvier dernier, un rapport de l’ONG WWF, qui parle d’une Méditerranée « en burn out », attirait l’attention sur cette zone sous haute pression : hausse du trafic maritime commercial (+ de 4 % par an), pression foncière et touristique, pollutions terrestres en hausse, surpêche, exploitation gazière et pétrolière…
Dans des sociétés du pourtour méditerranéen laminées par le chômage, « l’économie bleue », aiguise beaucoup d’appétits, notamment dans le secteur énergétique. Et ce, même si « cette thématique est largement absente du débat politique », estime Manuel Bompard, directeur de campagne du candidat déclaré à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon. Méluch’ a fait de l’économie maritime un enjeu majeur de son programme économique : « La mer, c’est 70 % de la surface du globe, la France possède le 2ème territoire maritime du monde (11 millions de km2, Ndlr), détaille Bompard. Ses ressources et son potentiel sont importants. Mais c’est un territoire à défendre, il ne faut pas le laisser au productivisme et à la cupidité sans fin. » Pour accompagner la transition énergétique et la dépendance au pétrole (voir p 10), le développement des énergies marines comme les éoliennes flottantes ou l’hydrolien (qui fonctionne avec les courants marins mais peu adapté aux fonds méditerranéens) est prometteur. Le directeur de campagne de Mélenchon loue aussi les possibilités des algues comme alternative au pétrole pour les matières plastiques ou sur le plan alimentaire car riches en protéines.
La mer en burn-out
Michèle Rivasi, député européenne du Sud Est candidate à la primaire EELV qui prône une « sobriété heureuse », pointe également les leviers énergétiques de la mer : puissance des vagues, bienfaits de la salinité et de la chaleur… Une « sobriété » que ne semble pas partager Maud Fontenoy (1), vice-présidente Les Républicains (LR) de la région Paca déléguée au développement durable et à la mer, pro gaz de schiste et fidèle du désormais climato-sceptique Nicolas Sarkozy. La navigatrice porte le concept valise « d’écologie positive » dont la philosophie revient à mettre (ou soumettre ?) l’écologie au service du développement économique.
Pour allier les deux, Christophe Madrolle reprend la philosophie de Pierre Rabhi et ses colibris : tout le monde doit agir à son échelle. Même logique pour Didier Réault, le conseiller municipal marseillais LR à la mer et président du Parc national des Calanques, qui estime que la France peut montrer l’exemple : « Alteo et ses rejets en mer en est un bon exemple. L’Etat n’a rien fait pendant longtemps, mais nous avons pu finalement forcer l’industriel à réduire son impact et éviter qu’il n’aille polluer dans des pays moins regardants. » A la gauche de la gauche, on s’accorde surtout pour reconstruire une logique économique face à la mondialisation effrénée et au dumping social qui boostent les déplacements de navires très polluants.
Tous les ans au mois de novembre, un grand raout réunit à Marseille politiques et acteurs économiques : la semaine économique de la Méditerranée. Organisée par l’OCEMO (l’Office de coopération économique pour la Méditerranée), elle se concentre cette année sur le numérique. Un domaine qui, selon Pierre Massis, le président de l’OCEMO, peut répondre à des enjeux environnementaux notamment : « le numérique permet de limiter les déplacements et les transferts de technologie permettent de produire sur place. » Le Graal numérique serait aussi un bienfait pour l’éducation voire la culture, alors que de nombreux artistes méditerranéens voient leurs demandes de visa refusées pour fouler le Vieux continent.
Economie de funambules
La face visible de l’économie pour une façade maritime reste logiquement son port. « Marseille, Porte du Sud », comme l’écrivait Albert Londres dans les années 20 est encore aujourd’hui le premier port méditerranéen en volume associé à Fos-sur-Mer. « Mais c’est un port qui vit principalement d’une rente : le pétrole, qui représente entre 65 et 85 % de l’activité selon les années », fait remarquer le sociologue Michel Péraldi. Selon lui, Marseille a abandonné le transport de containers, à la différence de Naples par exemple, une activité qui stimulerait beaucoup plus l’économie locale. Même chose pour le transport des passagers. Dans une région déjà dépendante au tourisme, Marseille a, par contre, mis le paquet sur les croisiéristes : premier port français en termes d’accueil de bateaux de croisières (1,6 millions de passagers attendus en 2016) et 5ème en Méditerranée.
« Mais on ne peut pas tout miser sur le tourisme, assure Mickaël Bruel, secrétaire régional de l’union socialiste. Il nous faut trouver un équilibre économique et ne pas lâcher l’industrie. Le Var est le premier département touristique de la région, il n’est pas pour autant le plus créateur d’emplois. Nous ne pouvons pas être le "bronze-cul de l’Europe". » Michel Péraldi est sur la même ligne : « Il y a une grande concurrence entre tourisme et industrie. Or le tourisme a besoin de domestiques, de porteurs de parasols… » Bref de précarité. Avis partagé aussi par Pierre Dharréville, secrétaire du parti communiste dans le « 13 », qui met l’accent sur les chantiers de réparation navale marseillais où « les travailleurs se sont battus en 2009 pour garder l’activité face au risque de délocalisation. Les luttes paient ».
Christophe Madrolle, met, lui, en avant un gâchis à la française : « Nous avons les meilleurs ambassadeurs du développement économique de la Méditerranée, des milliers de jeunes qui ont la culture tchatche et huile d’olive. Au lieu de les former dans des écoles de commerce méditerranéennes, on les laisse tenir les murs des cités. En Allemagne par exemple, ils ont très bien compris cela. » Autrement plus lugubre et intimement lié aux politiques de coopération (lire ci-dessus), celui de tous ses hommes et femmes fuyant la misère, Syriens mais aussi Soudanais, Ethiopiens,… qui se noient en mer. Loup Viallet, délégué national à la prospective pour le Front national et président du Collectif Mer et francophonie – « 1ère ONG souverainiste » (sic) – est dans son rôle : « il faut raccompagner les migrants chez eux… en accord avec leur pays d’origine. » Alors que pour Michel Péraldi, « nous ne sommes pas face à une crise migratoire mais face à une crise de l’hospitalité en période d’instabilité politique ». Ce qui fait enrager Thierry Fabre, le concepteur des Rencontres d’Averroès à Marseille : « C’est insupportable. Dans 10 ans on nous demandera "qu’avez-vous fait ?" . »
Clément Chassot
Enquête publiée dans le Ravi n°145, daté novembre 2016