Au Tholonet, l’immobilier suit le canal municipal
Ils ont pour nom Chante Perdrix, Sau Marqua, Saint-Jacques, Mont-Joli. Au fil de la célèbre route Cézanne qui mène à la Sainte-Victoire depuis Aix-en-Provence (13), le Tholonet égrène un chapelet de lotissements. Fi des allées pavillonnaires aseptisées, ici nous sommes en zone « naturelle » et les villas de 300 m2 avec piscine prennent place sur des terrains arborés de 3 000 m2 minimum.
Depuis plusieurs années, des remous agitent ce petit monde dominé par le château de la société du canal de Provence. Mécontents du nouveau plan local d’urbanisme (PLU), adopté en 2013, 19 propriétaires du lotissement Chante Perdrix espèrent obtenir son annulation en justice. Après avoir perdu devant le tribunal administratif en novembre 2014, ils étaient devant la cour administrative d’appel le 22 septembre dernier.
Conflit plein d’intérêt
Des remous ? À peine des vaguelettes. Pas un mot dans le magazine municipal, pas d’échanges d’invectives comme à Venelles ou Peynier. Joint par téléphone, un des contestataires se refuse à agiter la polémique. Malgré cette procédure, Chante Perdrix n’est pas en guerre contre la mairie, explique-t-il en substance. Le lotissement cherche seulement à éviter les constructions promises par le PLU via le classement de 7,3 hectares en zone AU (« à urbaniser »).
Dans cette commune riche, dont le maire LR (ex-UMP), Michel Ligier, est élu depuis 2001, la population s’est stabilisée depuis 10 ans autour de 2200 habitants. Le lotissement controversé est de loin le plus gros projet de construction dans les cartons. « Aujourd’hui très peu bâti, ce secteur pourrait porter un programme d’une centaine de logements (entre 100 et 140) », table le PLU. Ce même document le range parmi les secteurs destinés à accueillir 20 % de logements sociaux.
Villas contre HLM, l’histoire paraît classique. Seulement dans son combat, Chante Perdrix a soulevé un argument explosif : le conflit d’intérêts d’un adjoint au maire, Patrick Hasbanian, dont la famille serait propriétaire de la plupart de ces terrains riches de promesses. C’est qu’au Tholonet, les prix de l’immobilier atteignent des sommets départementaux – si l’on exclut la Côte Bleue et Cassis – à plus de 3 500 euros le m2 dans l’ancien. Pour les logements collectifs neufs, les données sont rares, faute de projets récents. Mais chez la voisine Beaurecueil et dans les quartiers Est d’Aix, les prix dépassent 5000 euros le m2. L’ouverture à l’urbanisation permettrait donc à l’élu de réaliser une belle plus-value.
Cachez ces HLM
« Ils n’ont pas tout le secteur contrairement à ce qui a été affirmé. Et la famille Hasbanian est implantée sur la commune depuis très longtemps, il n’a pas forcément de lien direct avec eux », rétorque Julie Capdefosse, avocate de la commune. En revanche, Patrick Hasbanian est bien propriétaire direct d’une parcelle de 5000 m2, actuellement vierge de toute construction et située dans la zone propice. Or, il a voté le PLU de 2013 de même qu’une modification en 2015, sans signaler ce conflit d’intérêts. « Dans les petites communes, cela arrive souvent qu’un élu soit propriétaire d’un terrain. La jurisprudence est très stricte, il faut arriver à démontrer que sa participation a eu une influence concrète sur le projet », soutient Julie Capdefosse. C’est ce qu’a écarté le tribunal en première instance et c’est aussi l’avis en appel du rapporteur public, le magistrat qui donne le ton avant la décision de la cour. Celle-ci devrait être connue dans le courant du mois d’octobre.
En attendant, la mairie a déjà ajusté son projet. Une enquête publique pour une nouvelle modification du PLU s’est ouverte le 3 octobre. Exit la « mixité sociale » ciblée sur plusieurs secteurs, dont Chante Perdrix : l’implantation de logements sociaux se fera « au cas par cas ». Par ailleurs, « compte tenu de la dynamique constructive en place, et de la forte production de logements collectifs », elle semble réduire la voilure sur Chante Perdrix, en scindant la zone en deux. Sur les deux hectares de la partie Est, Arial, sans-serif »>« la volonté est de permettre une urbanisation plus douce, axée sur des typologies moins denses assurant une continuité urbaine avec le lotissement de Chante Perdrix ». Comme si, avant même que la justice parle, la municipalité avait entendu le sens de l’appel de ses administrés : éloigner les HLM du chant des perdrix.
Julien Vinzent (Marsactu)
Enquête co-publiée dans le Ravi n°144, daté d’octobre 2016