Primaires pour tous
Des « primaires citoyennes » visent à faire émerger des candidats issus de la « société civile », sur fond de ras-le-bol politique. D’autres se regroupent aussi localement pour « pirater » 2017. Uberisation de la vie politique ou renouveau de la démocratie directe ?
« C’est un ras-le-bol constructif », estime Jean-Marc Fortané, l’un des 16 candidats encore en lice – parmi plus de 200 à l’origine – sur la plateforme numérique Laprimaire.org. Lancée en octobre 2015 par un entrepreneur et un avocat, elle promet « un vrai choix pour 2017 » et la sélection d’un candidat pour la fin de l’année. « Les partis politiques ont aujourd’hui le monopole sur la désignation des candidats, déplore Thibaut Favre, l’un des deux fondateurs. Nous souhaitons un vrai processus démocratique, sans filtre et qui ne soit pas partisan. »
Vétérinaire à Châteaurenard (13), Jean-Marc Fortané en avait marre de râler sur cette classe politique « qui nous a confisqué le débat ». Jamais syndiqué ni encarté, il passe ses nuits à écrire un essai, « le Cerfan », « un pays imaginaire malade d’être dirigé par une caste politique incapable de régler les problèmes ». Il en vient même à vendre les parts de son cabinet pour se consacrer pleinement aux 2ème et 3ème tomes. Il se définit comme un « social-libéral-régulé-écologiste » (sic), spécialiste des TPE/PME, propose entre autres de « redresser l’économie », « créer du lien entre générations et communautés » ou encore la retraite pour tous à 60 ans. Sans n’avoir encore rien chiffré. S’il sait que ses chances d’accéder à l’Elysée sont minces, il est persuadé que Laprimaire.org accouchera d’un candidat crédible entouré d’une équipe aux compétences diverses capable d’imposer des thèmes dans le débat public.
Autre régionale de l’étape, l’Avignonnaise Ariane Vitalis. Etudiante de 24 ans, elle a déjà publié un livre, « Les Créatifs Culturels : l’émergence d’une nouvelle conscience », qui constitue le socle de son programme politique pour « que l’humanité puisse répondre à ses besoins dans le respect de l’environnement et de l’humain, que ce soit dans le travail, l’éducation et la santé ». Pour que chacun puisse se réaliser, elle promeut un revenu de base notamment. De bien belles idées mais aux accents utopiques face à la réalité de la fonction présidentielle. « La réalité, c’est ce qu’on en fait, assure-t-elle. J’ai des idées et je sais très bien m’entourer. Tout cela a l’air un peu fou, mais pourquoi pas ? Oui, j’ai envie d’être présidente ! »
Les programmes politiques des candidats sont assez variés, certains plus illuminés que d’autres, mais les profils restent très « CSP+ » et la « diversité » est très limitée. « On se retrouve beaucoup entre bac+5 », admet Wilfried Bartsch, à l’origine d’une autre plateforme, La Vraie primaire. Elle ne connaît pas le même succès : seulement deux candidatures ont émergé (avec des frais de dossier de 500 euros…). Une autre primaire, La primaire des Français, n’en est encore qu’au stade de la pétition, avec 75 000 signatures. Mais aucun candidat. Pour cause, ce mouvement ressemble plus à un parti politique classique avec des personnalités comme Corinne Lepage ou encore l’écrivain Alexandre Jardin – récemment invité à un meeting d’Emmanuel Macron – qui pourraient bien partir en solo.
S’il y a eu des contacts entre tout ce petit monde, personne n’est arrivé à s’entendre. « Les philosophies sont différentes. Nous sommes partis sur une initiative politique. Laprimaire.org, c’est un gros coup de pub. Ils ont créé un outil qu’ils pourront revendre », charge Wilfried Bartsch, de La Vraie primaire. Encore en rodage, lui croit à l’avenir de son dispositif de consultation pour des échéances plus locales. Ces initiatives ont-elles vocation à parasiter réellement les scrutins électoraux ou bien vont-elles « uberiser » la vie politique ? « Oui c’est une concurrence pour les partis politiques classiques, admet le leader socialiste des Bouches-du-Rhône, Jean-David Ciot. Mais je vois aussi que des gens se déplacent pour aller voter. Le geste est important car le pire c’est l’indifférence. Et c’est ce que je crains, surtout à gauche, pour 2017. »
Plus localement, à Marseille, d’autres souhaitent « pirater 2017 ». Issus de l’initiative de la militante féministe Caroline De Haas La primaire de gauche – elle a finalement rejoint l’équipe de campagne de Cécile Duflot (sic) – une quinzaine de groupes locaux se sont constitués sous la bannière Assemblée citoyenne (1). Ce samedi soir de septembre, c’est la première réunion. Ils sont une dizaine et ne se connaissent pas. Encore dans une phase de réflexion, le groupe souhaite imposer des thèmes dans le débat, comme celui du vote blanc, et réfléchit à des actions médiatiques. Mais leur souci principal est d’organiser « une convergence avec des collectifs qui existent déjà », explique l’un des membres marseillais, Edem Kokou. Les audacieux, La belle démocratie, pourquoi pas LaPrimaire.org… les possibilités de rapprochements sont nombreuses. Mais la coordination globale du mouvement reste compliquée : « On ne peut pas parler de gouvernance, l’organisation n’est pas verticale, explique Edem Kokou. Certains veulent prendre des responsabilités, d’autres moins, tout le monde n’a pas la même façon de faire remonter les informations, la même approche de l’outil numérique… » Partis à l’abordage, le chemin reste encore long pour grimper sur le bateau présidentiel.
1. www.assemblee-citoyenne.org
Clément Chassot
Enquête publiée dans le Ravi n°144, daté d’octobre 2016