Muscler sa glande radicale
Depuis quelques années je dois me creuser la tête pour avoir une prise sur le monde. Pourtant ma fringale de radicalité et ma soif de justice sont bien là, dans mon ventre. Et ce temps de confinement les a excitées. Elles s’énervent comme deux couleuvres en transe, et je ne sais plus quoi faire pour les apaiser.
Il y a tout de même de petites actions politiques qui me procurent un peu de satisfaction, comme me débarrasser de mon stupide téléphone intelligent par exemple. Cesser de me faire traire par les rumineurs de données. Finies les cadences infernales. Ça fait du bien ! Je pense que je récupère facilement une heure de vie par jour. Une heure pour réfléchir, une heure pour lire, une pour cultiver mon imaginaire, une heure pour m’asseoir et parler à un habitant des trottoirs, une heure pour ma fille, une heure par-ci, une heure par-là, une heure pour aller me baigner tout seul, une heure pour réparer ma bagnole, une heure pour arpenter les rues. Ça vaut le coup de se baisser pour ramasser une heure de vie.
Mais une heure en chassant une autre je me rends compte (mince alors!) que je n’ai plus le temps de cuisiner. Alors à la place de la recette du mois je vais t’offrir, cher lecteur du Ravi, le secret de la tartine de rillettes. Oui, je sais que mon rôle est que tu aies chaque mois une recette de cuisine. Et toi, oui toi, tu es en train de te dire que je me moque du monde, que je suis un fumiste, un révolutionnaire en carton, une raclure de collabo. Tu te dis que je suis moins « chro »- que -« niqueur ». Et tu as peut-être un peu raison.
Mais sache cependant que je te livre ici un vrai secret : la meilleure tartine de rillettes du monde. Une tartine de rillettes pour ton bien. Une tartine de rillettes pour tout arrêter et regarder le soleil arrondir l’horizon. Une tartine de rillettes pour faire de toi peut-être le véritable, l’authentique être humain augmenté. La femme ou l’homme de demain ! Et comme tu n’as qu’à prendre le train pour Marseille et étaler des rillettes sur du pain, il n’y a pas moyen de se tromper, et c’est aussi pour ça que ma recette est vraiment une super recette.
Les rillettes de chez Volailles de Cure Bourse
Ce sont des producteurs du Vaucluse qui, après des années de marché paysan, ont installé un magasin de vente directe en plein Marseille au 7 rue des trois frères Barthélémy. C’est un élevage très extensif. À mon sens, ils vont bien au-delà des normes de l’agriculture biologique : les bêtes à plumes mangent des vers, courent dans la boue en cancanant, prennent le soleil, coursent les escargots et jouent même à la belote, et ça, ça se sent dans le goût de la viande !… Pendant ce temps, à Marseille, au bout du comptoir trônent, avec modestie, les rillettes de canard qui ont redressé mon âme.
Le pain de chez House of pain
À cinquante mètres de là, installé depuis un an au 14 rue Fontange à Marseille, ce boulanger est un génie. C’est le pain dans toute sa simplicité. Ça pourrait passer pour le pain d’autrefois, mais c’est le pain du futur. Non, c’est toute notre civilisation concentrée dans une miche. La croûte, j’ai des frissons rien que d’en parler, croustillante, épaisse et même élastique. Tellement sur la noisette qu’on y a juste posé la langue et que déjà on est là, à courir les branches avec les écureuils. La mie ensuite, parfumée et ferme, souple et hâlée comme une nageuse olympique… Bref ! Vraiment le pain que je recherchais depuis toujours.
Note importante concernant la tartine de rillettes :
Pour une expérience sensorielle totale il vaut mieux s’entourer de gens bienveillants et choisir un endroit très beau et apaisant et c’est ici que s’arrête la troublante similitude entre le L.S.D. et la tartine de rillettes. Enfin, (concentre-toi cher lecteur, car tout peut encore ne pas basculer) il ne faut jamais, jamais, sous aucun prétexte, oublier les cornichons.