Moi, Johnny Halliday, le grand blond avec une chaussure brune
Johnny-Miossec : le clash à cause du concert à Fréjus ! En exclu, avant même Closer, l'enregistrement de l'engueulade (imaginaire) entre Johnny, l’idole des vieux réacs, et Christophe Miossec, son parolier, l’icône arty rive gauche !
Sur une plage de Saint-Barth’, le téléphone de Jojo se met à sonner. « Je suiiiis pouuuuur le communisme, je suiiiiis pour le socialisme. Et même pour le capitalisme, parce que je suiiiiiiis… »
– Jean-Philippe – Johnny – Smet : Ah que coucou ?
– Christophe Miossec : Putain Jean-Phi, t’es con avec ça, ça devient lourd ! Tu vas bien ? J’ai vu les photos de l’anniversaire de Jade et Joy, tu tiens la forme !
– J. : Bah, faut se reposer entre deux dates. Les tournées c’est déjà crevant à la base, alors à mon âge, j’te raconte pas !
– M. : T’avais pas dit la dernière fois que c’était la der des der ? « M’arrêter là » (1), tout ça ?
– J. : Je sais, ça fait coup marketing, mais comme à chaque fois les stades sont pleins, alors je replonge. Ma musique, elle vient du blues, des esclaves enchaînés, d’accord, mais elle remplit bien aussi mon compte à numéros : la tête dans le Mississippi, le cœur en France, mais le portefeuille en Suisse ! Qu’est-ce qui me vaut ton appel mon Chrichri ?
– M. : J’sais pas comment dire…
– J. : Alors tu peux me le chanter.
– M. : (Soupir) « Je vous téléphone encore, ivre mort au matin […], un peu à bout c’est rien (…) Que devient ton poing quand tu tends les doigts » ? (2) Bon sang, pourquoi tu es allé faire le malin à Fréjus ? ! (3)
– J. : Écoute Christophe, je passe pas au scanner les maires des villes où je joue. Okay le gars était Front national…
– M. : Mais c’est Fréjus, la plus grande ville gérée par l’extrême droite ! Là où Marine Le Pen lance sa campagne présidentielle en septembre (4) ! Il y a cinq ans tu disais toi-même que le FN « te faisait peur » ! (5)
– J. : Il y a cinq ans, Fillon et Juppé ne couraient pas après les voix de Le Pen…
– M. : Putain c’est pas le problème ! Que tu sois de droite, tout le monde le sait, ça date pas d’hier. T’as eu un peu ta période Lavilliers, rebelle et ouvrier, mais ça t’a vite passé. Je t’en ai jamais voulu pour ça. Quand on a bossé ensemble la première fois, j’avais encore en tête tes meetings pro-RPR, ton « on a tous quelque chose en nous de Jacques Chirac » qui a fait bondir Berger, tes copain-copain avec Sarko et toute la droite populaire de Provence et d’ailleurs… Mais là !
– J. : Renaud aussi, politiquement, il a évolué…
– M. : Lui il tombe de très haut depuis qu’il a repris le micro (6). Mais il est perdu pour le pays, il ne sait plus où il habite. Toi la droite, tu les connais. T’es l’idole de TF1, de la France populaire. Rachline, il a passé tout l’été à se vanter que Fréjus ne faisait pas peur puisque les plus grands artistes continuent à s’y produire : pourquoi tu vas donner un vernis de respectabilité à ces gars-là ?
– J. : Ça va, oh, ils ont été élus à la régulière quand même…
– M. : Et ça doit tout excuser ? Tu sais qui a organisé ton concert ? C’est « La patrouille de l’événement », une boite proche de Marine Le Pen, elle est dirigée par un ancien d’un groupuscule néonazi et un ex-militant identitaire (7). Avant toi, en 2015, ils ont invité le groupe de rock In Memoriam qui reprend des chants de la jeunesse hitlérienne. Après toi, le 27 août dernier, ils ont programmé Jean-Paul Méfret, « nostalgérique » de l’empire colonial, surnommé le « chanteur de l’Occident ». Et en plus il y a eu cette affaire avec les 30 arbres abattus sur la base nature, juste avant ton arrivée, où avait lieu le concert, pour dégager la vue. Ça s’est fait sans concertation. Je ne te parle même pas des insultes contre les élus qui voulaient soulever le sujet en conseil municipal, la presse accusée de complot par le maire FN parce qu’elle parle des sujets polémiques (8).
– J. : Bon ça va comme ça mon Christophe !!! T’es un écorché vif, un artiste engagé, mais tu vois c’est là qu’on est différents. Moi je fais de la musique un point c’est tout, et…
– M. : Tu te fous de moi là ? Et tes meetings pro-Chirac en 1988, tes meetings pro-Sarko en 2007 ?
– J. : …
– M. : Et le concert après les attentats du Bataclan place de la République à côté de Hollande ?
– J. : …
– M. : Et bien oui mon grand, tu ne peux pas avoir un pied dedans, un pied dehors, comme ça t’arrange. Quand on décide d’utiliser sa notoriété au service de la politique, quand on accepte d’incarner un symbole d’union nationale, on regarde où on met les pieds. C’est comme quand tu commences à dévoiler ta vie privée, sur ce sujet-là au moins je t’apprends rien…
« on a tous quelque chose en nous de Jacques Chirac »
– J. : Tu sais ce qu’il y a vraiment Christophe ? C’est que j’en ai plus que marre que des petits cons comme toi me disent ce que je dois faire ou pas, moi, Johnny ! J’ai mes problèmes, je porte ma croix sur mes épaules et même sur ma peau, et c’est déjà assez dur comme ça ! « Marie, si tu savais, tout le mal, que l’on me fait ! » (09)
– M. : Mais exactement Jean-Phi ! Pour ton plus grand malheur et ton plus grand bonheur, tu es « le » Johnny national. Et comme ils disent dans les BD de super héros, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Alors si tu veux qu’on te foute la paix, soit tu t’intéresses un peu à ce qui se passe autour de toi, soit tu la fais définitivement cette dernière tournée et on en parle plus !
– J. : C’est quoi en fait ce coup de fil ? Un appel au secours pour que tu me signes une nouvelle chanson ?
– M. : Arrête Jean-Philippe, c’est minable d’insinuer ça !
– J. : Eh ben alors dis-moi déjà pour qui tu vas voter en 2017 ? A gauche vous êtes fin prêts, hein ! Déjà aux régionales, face au FN, vous avez été un vrai barrage !
– M. : Et Estrosi, il a été élu avec les voix de qui, à ton avis ? En tous cas toi, t’auras pas de problème pour la primaire à droite, c’est tous tes potes !
– J. : Allez Christophe, on va raccrocher, ça nous mène nulle part cette discussion. Je vais repasser à Paris pour la tournée, on ira se faire un restau breton, et on parlera pas de politique. Parce qu’on est potes, hein ? !
– M. : …
– J. : Christophe ?
– M. : Ouais on est potes… Je te déteste en supplétif politique, mais je suis comme beaucoup de Français, je te dis « Salaud, on t’aime » ! (10).
Eddy les Bons Tuyaux
Portrait « poids lourds » publié dans le Ravi n°143, daté septembre 2016