Le bon [sur]vivant
Le monde moderne n’est plus qu’un lointain souvenir : les abrutis, les inconscients et les militaires ont gagné la partie. Vous avez fui. Vous avez marché. Vous avez vu les autoroutes désertes, vous avez vu les enseignes publicitaires dans les zones commerciales, elles continuaient de promettre ce que jamais elles n’ont pu offrir : le bonheur, l’autonomie, la richesse. Vous, vous avancez en titubant, vous ne savez plus du tout où vous êtes, c’est peut-être la fin.
Et puis vous humez quelque chose, tout votre corps se met en alerte en l’espace d’un centième de seconde, car c’est manifestement une odeur de nourriture. Et pas n’importe quelle nourriture, quelque chose de vraiment très raffiné, qui mijote tout doucement. Une hallucination probablement : plus rien ne mijote plus depuis longtemps. Mais si pourtant vous en êtes sûr ! Vous reconnaissez le parfum du vin cuit, vous vous avancez malgré vous, porté par cette promesse de réconfort. Une serre emplie de verdure apparaît, à l’intérieur on sifflote. Au-dessus de la porte sont inscrits ces mots : « Le Présage – restaurant propulsé au soleil. » Vous commencez à vous demander si tout cela est bien réel. Vous passez la porte, et vous êtes au paradis, il se tient là, courbé sur son fourneau, vêtu d’un tablier immaculé et de lunettes de soudeur. Comme un chevalier de l’apocalypse, il surveille d’un œil ses casseroles et de l’autre l’avancée de la gigantesque parabole réfléchissante qui concentre les rayons du soleil sous son poste de cuisson.
L’homme vous accueille d’une voix chaleureuse sans perdre de vue ses casseroles et vous envoie vous asseoir à côté d’autres survivants éberlués qui attendent leurs assiettes sans parler. Le rire se mêle aux larmes de joie quand le prophétique cuisinier dépose devant vous quelques tranches de pêche pochées dans du vin rouge. Avant d’avoir porté la première bouchée à vos lèvres, vous vous demandez si ce sera convenable de lécher votre assiette lorsqu’elle sera terminée. Et avant qu’elle n’y parvienne, la réponse s’impose, inéluctable : oui.
Pierrick de Salvert – Cuisinier saltimbanque
N.B. Pas besoin d’attendre l’apocalypse pour goûter l’improbable cuisine propulsée au soleil de Pierre André Aubert : Le cuisinier-ingénieur-en-aéronautique qui cherche ses graines de fenouil à la lumière de la pleine lune et maîtrise la cuisson de l’ail rôti comme personne. Le restaurant Le Présage entame une phase de test à partir du 10 septembre. Vous dénicherez le fourneau solaire au 1420 route de la légion, quartier Camp Major, 13400 Aubagne et sur internet http://restaurantlepresage.fr. L’expérience est saisissante et les énergies mises en œuvre sont totalement libres : concentré de photons et son biogaz sur lit d’épluchures. Bon appétit !
Pêche Picrate
Pour 4 personnes
– 2 pêches
– 20 cl de vin rouge
– une cuiller à café de sarriette
– une gousse de cardamome
– deux cuillers à café de miel
Peler les pêches, les couper en huit, ouvrir la gousse de cardamome, en extraire les graines et les mettre au mortier avec la sarriette. Réduire en poudre et jeter dans une casserole à fond épais, répartir tous les quartiers de pêche au fond de la casserole, verser le vin rouge, il ne doit pas recouvrir complètement les pêches. Ajouter le miel. Porter à ébullition et faire réduire à feu moyen sans jamais touiller. C’est prêt quand le vin est presque entièrement évaporé. Disposer les pêches sur une assiette et laisser couler dessus les quelques gouttes de liquide qui restent au fond de la casserole.