Don Ferdinand en procès - 3ème partie : plaidoiries et réquisitions
Après deux jours de débat intense et un Ferdinand Bernhard un poil déstabilisé sur la fin, ce 10 juin, troisième et dernier jour du procès du maire de Sanary-sur-Mer, est consacré aux plaidoiries des avocats et aux réquisitions du procureur. Mais d’abord la juge convoque les trois protagonistes, chacun leur tour à la barre, pour faire un point sur leur vie actuelle. Jean-Jacques Céris a été réélu président de la FOL 83 en 2015 et poursuit ses activités bénévoles. Il ne travaille plus, sa retraite est de 2 500 euros et il n’exerce aucune activité à Sanary. Même si indirectement il y garde un lien, sa fille étant directrice de la médiathèque municipale depuis 2009. Mais visiblement, il ne ressent pas l’utilité d’en informer la juge lorsqu’elle l’interroge sur ses enfants. Sybille Beaufils, quant à elle, s’est remariée, et travaille comme responsable administrative et financière avec un salaire de 4 000 euros mensuel pour un organisme public toulonnais, sur lequel elle reste assez floue. Mais lors de sa plaidoirie, son avocat précisera qu’elle s’occupe de gérer actuellement la fusion de deux hôpitaux varois. Et qu’il aimerait bien, si possible, que la presse l’épargne…
Dignité, probité et intégrité
Ferdinand Bernhard de son côté, est toujours maire, conseiller départemental, président d’agglo… et retraité actif. Il déclare 20 000 euros de revenus mensuel. Son casier n’est pas vierge puisqu’il a été condamné par deux fois en 2008 et 2013 pour injures publiques. Il tient à préciser, alors que la juge n’y avait pas songé, qu’il a payé les biens qu’il possède. Et que contrairement à ce que déclare une certaine presse, il « ne se laisse pas corrompre ». On apprend aussi lors de cette audition que si Jean-Jacques Céris et Sybille Beaufils n’avaient pas le droit d’entrer en contact avec le maire pendant la période de l’instruction, lui, ayant fait lever son interdiction par arrêté du 7 août 2015, le pouvait. La juge relève la bizarrerie de la chose.
« Le législateur fait obligation à tout élu d’exercer ses fonctions avec dignité, probité et intégrité. Il leur fait obligation, si à un moment ils ont le moindre doute sur une contradiction possible entre les intérêts publics et privés, de faire cesser immédiatement cette contradiction », attaque lors de sa plaidoirie Me Huguette Ruggirello, avocate de Messieurs Serra et Dupuis, partie civile. Elle poursuit : « La question est de savoir aujourd’hui si Monsieur Bernhard a exercé ses fonctions avec dignité, probité et intégrité. Et s’il a fait cesser cette contradiction. » Elle rappelle que le débat n’est pas politique dans ce tribunal, mais que l’intérêt est de savoir si la loi a été violée ou pas. « Ce procès n’est pas celui de l’apparence, mais celui de l’évidence », souligne l’avocate. Et rappelle qu’il n’y a pas d’instrumentalisation comme le laisse entendre Ferdinand Bernhard, et qu’après huit ans de procédures, les sources sont variées, dont la Chambre régionale des comptes. Elle souligne que depuis 31 ans, l’édile aux multiples casquettes connaît la loi malgré ce qu’il veut bien en dire, et qu’il est responsable contrairement à ce qu’il laisse entendre. « Le Code des marchés publics, on s’assoit dessus. On s’est assis aussi sur le Code de l’urbanisme », tonne-t-elle. « Quand on a été élu au suffrage universel, on signe avec respect, celui du mandat que l’on a reçu », insiste l’avocate. Elle évoque, enfin, les menaces qu’auraient reçues la mère très âgée d’Emmanuel Serra, à qui on a demandé de calmer son fils au risque que tout cela ne « finisse très mal… »
Le pivot d’un système
La commune de Sanary, partie civile elle aussi, ne plaidera pas. « Les débats de ces deux jours ne nous ont pas convaincus du préjudice », précise leur avocat, Me Rosato. C’est au tour du procureur, Étienne Perrin, d’enfoncer le clou, rappelant au maire de Sanary qu’il n’est pas, malgré les aises qu’il semble prendre, au-dessus des lois. Le procureur de la République a investigué chaque point du dossier sur lesquels il revient tour à tour et relève des « éléments troublants », concernant l’ascension fulgurante de la maîtresse du maire. Il dit que la loi de moralisation du 15 septembre 2017 a été faite « contre vous et pour nous ». Il dépeint un maire « enfermé dans [sa] logique ». Et interroge : « Où est l’intérêt général dans tout ça ? » Après deux heures et demi de réquisitoire, sa conclusion est cinglante. Ferdinand est « le pivot d’un système ». Et de poursuivre : « Il a été décrit comme un roi pendant ces débats, avec ses qualités, l’intérêt général, l’attachement à sa commune, aux enfants, mais avec ses défauts aussi. Parce qu’il y a de l’arbitraire dans ses décisions et un mélange de ses intérêts personnels avec l’intérêt de la commune […] Mais à mon sens, c’est plutôt un serviteur qui s’est servi…. Dans le sens « le service que je rends à mes administrés, je peux aussi me le rendre à moi même ». Et c’est là, un dévoiement de la fonction. »
Le procureur pointe une perte de « lucidité », « une atteinte aux biens et à la confiance publique » et « un abus de pouvoir » qui à son sens sont plus graves car il y a dissimulation. Enfin il explique que le tribunal n’a pas été dupe et que si Ferdinand Bernhard a joué la carte de « l’ignorant », de « l’incompétent » ou encore du « naïf », derrière tout ça il y avait une « stratégie ». Et de porter le coup final : « C’est un professionnel de la vie politique, il connaît très bien notre juridiction, il y est déjà venu quatre fois a minima. Il sait très bien ce qu’il fait et ce qu’il dit. Ce n’est pas un naïf. » C’est en ce sens qu’il demande que Ferdinand Bernhard soit déclaré coupable des délits de « prise illégale d’intérêts, favoritisme et détournement de fonds publics » et requiert trois ans d’emprisonnement avec sursis, « en espérant que cela le dissuade de recommencer » assortis de 100 000 euros d’amende, 5 ans d’inéligibilité, d’une privation de droits civils, civiques et familiaux, ainsi que la confiscation de la parcelle AZ 437. Le parquet requiert, pour recel, six mois de prison avec sursis et la privation des droits civiques de deux ans à l’encontre de Jean-Jacques Céris et de Sybille Beaufils. Assortis respectivement de 30 000 euros et 50 000 euros d’amendes.
L’audience s’achève avec les plaidoiries de la défense. L’avocat du maire, Me Julien Pinelli rappelle « les 26 mentions de fin de non-lieu » de ce dossier mené « par des opposants acharnés ». Il dénonce une instrumentalisation jusqu’au juge instructeur et un tribunal « qui se vautre dans le vaudeville ». « Défendez-vous contre des suspicions et des images, voilà ce que l’on demande à Monsieur Bernhard ! […] Et bien sûr, il faudrait que cela s’achève par sa mort politique », s’énerve l’avocat qui demande la relaxe. Délibéré au 7 septembre.